Edward Bunker, La Bête contre les murs

Edward Bunker (1933-2005) est une légende du roman noir américain. A 16 ans, il est incarcéré à San Quentin, dont il s’en évade deux fois et, entre les murs, il est membre de la fraternité aryenne, un gang d’une extrême violence. Comme pour la quasi totalité de son œuvre, son expérience personnelle sert à nourrir La Bête contre les murs, initialement paru en 1977 (le titre original est plus parlant, The Animal Factory), traduit en français en 1994 et adapté au cinéma par Steve Buscemi en 2001 (1). Le voilà réédité avec l’estampille “Les iconiques de François Guérif” qui ressort du fonds quelques pépites exceptionnelles. A plus d’un titre, La Bête contre les murs est l’une d’entre elles.

San Quentin, USA

L’une des prisons les plus célèbres des USA ouvre ce monstre de roman noir. On y jette le jeune Ron comme une proie facile dans une réserve d’animaux féroces en combinaison orange et regroupés par groupes ethniques. Lui est blanc, fragile, impressionné par sa première incarcération, et sa jolie petite gueule ne va rien arranger, son petit cul va intéresser bien du monde… Car dans cet univers de violence et de racisme, c’est la cible de toutes les pulsions, l’homosexualité n’est plus un tabou mais la norme et une manière animale de domination.

Pour survivre, au sens propre, Ron va devoir laisser parler la bête en lui. Mais aussi se trouver des alliés, des Mexicains, quelques Noirs, et cette Fraternité aryenne dont il ne partage pas les idées mais il faut bien survivre. Et c’est le vieil Earl qui le prend sous son aile (2). Earl, l’ange gardien, le guide dans cet univers et leur amitié sert de fil conducteur à la traversée de l’enfer qu’est ce roman très noir.

Une autobiographie immersive

La Bête contre les murs est un roman immersif. Le lecteur est projeté dans cette ambiance particulière et oppressante de San Quentin. C’est cet univers clos qui transforme le petit délinquant en véritable bête, répondant aux exigences d’un autre modèle social. La haine omniprésente, aussi bien de chacun pour tous les autres qu’entre groupes ethniques qui ne se mélangent pas que l’administration utilise à son profit pour cacher son incompétence, ou son aveuglement volontaire, derrière ces véritables guerres raciales. Et, omniprésente, la certitude que les faibles et ceux qui conservent une part d’humanité ne peuvent pas survivre.

Cependant, l’espoir est tout de même présent. Et c’est la forme la plus civilisé qui survit, par le livre et la littérature. La littérature qui a permit à Edward Bunker de survivre, de sortir de son statut, et de témoigner par cet immense roman autobiographique sur l’univers carcéral. La littérature, par laquelle Earl se tient au-dessus de la mêlée (il lit aussi bien Camus que Hesse), et qui sera le passeur vers la rédemption.

Loïc Di Stefano

Edward Bunker, La Bête contre les murs, traduit de l’anglais (USA) par Freddy Michalski, Rivages, “Rivages / Noir”, janvier 2024, 306 pages, 9,70 euros

(1) A noter que Steve Buscemi et Edward Bunker se retrouvent au casting de Reservoir dogs de Quentin Tarentino.

(2) Par bien des aspects, notamment le duo jeune détenu et vieille figure respectée de la prison, La Bête contre les murs a pu servir de modèle à la nouvelle Rita Hayworth et la Rédemption de Shawshank de Stephen King (1982) paru dans le recueil Différentes saisons, qui deviendra le film culte Les Evadés (1994).

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