Lettres du mauvais temps, Manchette l’épistolier

Un écrivain mythique

Jean-Patrick Manchette était, sans conteste, un des plus grands auteurs français de romans noirs au siècle dernier. Par son écriture behavioriste et l’arrière-plan politique, Le Petit bleu de la côté Ouest (Gallimard, 1977) et La Position du tireur couché (Gallimard, 1982) ont marqué leur époque et les amateurs de polars. Mais aussi beaucoup d’écrivains, comme Jean-Hugues Oppel, Serge Quadruppani et encore Jean Echenoz ou Maurice Dantec. Les Lettres du Mauvais temps permettent de découvrir l’homme dans sa correspondance.

Dans un effort de contextualisation, notons que le titre fait référence à un cycle de romans projeté par Manchette dont seul les deux premiers, La Princesse du sang et dans une moindre mesure Iris, ont été en partie rédigés. Cette correspondance court sur une vingtaine d’années pendant lesquelles Manchette se réfugie dans un silence littéraire qui a marqué ses contemporains. Pourtant, ce diable d’homme n’est pas resté inactif. Il a écrit un grand nombre de chroniques, d’articles, de scénarios pour la télé ou le cinéma (La Crime de Labro, c’est lui), a commencé au moins trois romans et a écrit un grand nombre de lettres.

De nombreux destinataires

Dans ce volume, le gotha littéraire de l’époque défile. De Jean Echenoz à Richard Morgiève, de Didier Daeninckx à Robin Cook, de Ross Thomas à James Ellroy (que ces deux-là se soient écrits et rencontrés fait rêver). Mais on trouve aussi des lettres aux éditions Gallimard, à ses voisins (dont les mômes font trop de bruit), à des éditeurs… Manchette se révèle un épistolier souvent drôle, parfois très disert sur ses passions (le roman noir, le cinéma).

On le découvre précis dans la description de son travail de traducteur, particulièrement dans ses lettres à l’auteur américain Ross Thomas (au passage, soulignons qu’il faut lire de lui Les Faisans des îles). On le voit donner des consignes précises également aux auteurs de la Série noire qui vont continuer le cadavre exquis lancé par sa mise à feu (lettre du 6 septembre 1994) à l’occasion des cinquante ans de la collection. Ou bien encore expliquer avec force détails son métier d’écrivain aux élèves du lycée professionnel de Chardeuil en Dordogne.  

Portrait d’un créateur inquiet

Se dessine à travers ses lettres un écrivain plus fragile qu’on ne le croit, plus proche de l’artisan que de l’artiste mais farouche quand il s’agit de défendre son texte, ses opinions où ses choix romanesques. Agoraphobe durant plusieurs années, Manchette est en proie à des épisodes dépressifs, nourris peut-être par l’époque : il n’a pas dû bien vivre les années 80, marquées par un mitterrandisme qui a enterré pour longtemps tout espoir de rupture politique pour le peuple de gauche (sans parler de révolution).

Et puis cet homme angoissé a un besoin constant d’argent. D’où ses travaux alimentaires pour le cinéma, bien payés, qui ont contribué à le détourner de la création. Il commence trois romans (inachevés) dont deux ont été publiés (La Princesse du sang et Iris) après sa mort. Au passage, je lance un appel solennel pour que les deux chapitres de La Vie pleine d’aventures, de stupre, de violences et d’amour de la comtesse Marie-Immaculée, en fait un polar porno sur la IIIe internationale (waouh), soient publiés. Tant qu’il reste un inédit…

Grand écrivain behavioriste, bon théoricien du roman noir, Manchette est mort trop tôt. Ces Lettres du mauvais temps est une occasion de le retrouver tel qu’en lui-même.  

Sylvain Bonnet

Jean-Patrick Manchette, Lettres du mauvais temps, correspondance 1977-1995, préface de Richard Morgiève, La Table ronde, mai 2020, 544 pages, 27,20 eur

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