Edwy Plenel, L’Appel à la vigilance face à l’extrême droite

On connaît Edwy Plenel et sa pugnacité journalistique qui confine parfois à la mauvaise foi. Qu’on jette par exemple un coup d’œil sur son interview dans le documentaire de Philippe Bensoussan Décryptage (2002) : loin de rejeter l’accusation quand on lui reproche de n’avoir pas corrigé une information qui s’était révélée fausse après sa publication, et ne voyant pas en quoi, dans un tel cas, perseverare peut être diabolicum, il explique qu’il n’est pas mauvais parfois d’aiguillonner les lecteurs d’un journal en leur jetant en pâture ce genre de fausses notes non avouées comme telles. No comment.

Son essai intitulé L’Appel à la vigilance et sous-titré Face à l’extrême droite ne laisse donc pas de surprendre par son ton calme et posé, alors même que le sujet annoncé pouvait prêter à bien des déchaînements. Le titre reprend celui d’un manifeste lancé en 1993 par une quarantaine d’intellectuels français et européens — dont Jean-François Revel, Jean-Pierre Vernant et Umberto Eco — et destiné à mettre en garde contre la multiplication des discours d’extrême droite menaçant « tout à la fois la démocratie et les vies humaines ». Trente ans plus tard, les exemples ne manquent pas qui viennent corroborer cette prédiction, mais Plenel — et c’est ce qui explique sans doute son ton mesuré — se retrouve devant ce qu’on pourrait appeler « le paradoxe de Cassandre » : satisfaction d’avoir depuis longtemps deviné juste, mais amertume aussi, puisque la prédiction n’a permis en aucune manière d’éviter la catastrophe.

S’inscrivant dans la lignée de l’historien belgo-français Maurice Olender (disparu il y a six mois), Plenel propose donc une centaine de pages qui sont comme une anamnèse, remontant progressivement jusqu’au XIXe siècle pour identifier les sources théoriques, littéraires — si l’on peut ici employer ce mot — et journalistiques, des thèses d’extrême droite et de la défense d’un nationalisme inconditionnel débouchant inévitablement sur l’idée d’une hiérarchie entre les peuples. On ne s’étonnera évidemment pas de voir cité ici Gobineau et son Essai sur l’inégalité des races humaines.

Plenel écrit bien et écrit clair, et toute cette dissertation historique ne manque pas d’intérêt. Mais, si séduisante soit-elle, elle dépasse rarement le niveau descriptif. Plenel devrait relire Proust et le Contre Sainte-Beuve. Allons, à qui va-t-on faire croire que Gobineau et consorts aient pu exercer une véritable influence sur l’opinion publique, quand YouTube n’existait pas encore ? Comme l’a magnifiquement démontré l’Oncle Marcel, la mode ne crée pas le désir ou l’envie ; elle les suit, ou, au mieux, elle les flatte. Ou, pour dire les choses autrement, elle vient satisfaire une envie dont le public n’avait certes pas conscience, mais qui n’en était pas moins déjà là. On peut raisonnablement gager que la foule qui hurlait « Mort aux juifs ! » en assistant à la dégradation de Dreyfus avait assez peu lu Gobineau (son essai est d’ailleurs, quand on le lit vraiment, moins raciste qu’on ne pourrait l’imaginer).

Illusion de journaliste — nécessaire sans doute, mais un tantinet naïve. Il est vrai qu’un « J’accuse ! » a pu contribuer à changer le cours de l’histoire et que Woodward & Bernstein ont fait tomber un président des États-Unis, mais cela n’est pas monnaie courante. Il suffit par exemple de feuilleter aujourd’hui un numéro du Figaro pour voir qu’un journal, par la force des choses, s’efforce bien plus de suivre que de forger l’opinion de ses lecteurs. Quel est donc ce mauvais esprit qui disait que les journalistes avaient une fâcheuse tendance à oublier qu’ils n’étaient, somme toute, que des petits télégraphistes ?

FAL

Edwy Plenel, L’Appel à la vigilance – Face à l’extrême droite, Éditions La Découverte, mars 2023, 137 pages, 16 euros

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