L’Amitié, le classique de Cicéron

Les éditions Arléa ont eu la bonne idée de rééditer un classique de la littérature latine, le De amicitia de Cicéron, autrement dit L’Amitié. Ce petit texte flirte sans cesse avec la philosophie, et vient juste après le De senectute du même Cicéron, c’est-à-dire La Vieillesse. Ces deux œuvres se rapprochent des meilleures pages du grand Sénèque, par l’acuité psychologique de l’écrivain, plus connu pour ses harangues, et sa vie politique (Cicerone consule….), que pour ses écrits de moraliste. Mais ces derniers ne suffirent pas à lui attirer l’estime des puissants, malgré leur haute qualité, et comme Sénèque plus tard, il fut assassiné sur ordre du pouvoir. 

 « Priver la vie d’amitié, c’est priver le monde de soleil »

Cicéron parle de l’amitié en homme sage, mais surtout en homme qui sait de quoi il parle. Son amitié avec le célèbre Scipion, avec le poète Ennius, qu’il admirait fort, et surtout avec le fidèle Atticus, lui donne autant d’arguments pour développer son sujet. Et ce sujet, le voici : « Je ne peux que vous engager à placer l’amitié au-dessus de toutes les choses humaines », dit-il à ses amis, au cours d’une conversation à plusieurs, propos qui constituent le livre, en même temps qu’un genre littéraire dont les Grecs raffolaient (cf. Platon), et que les Latins ont pratiqué à leur tour. Et d’ajouter : « L’amitié nait lorsqu’un mérite se manifeste avec suffisamment d’éclat, et encourage une autre âme à se rapprocher pour s’associer à lui ». 

Cicéron part du principe que la solitude est un grand malheur pour l’homme, et que l’amitié l’en prémunit. Mais cette amitié doit être exigeante, et ne saurait se donner à n’importe qui. Il recommande de « tomber sous le charme d’un esprit noble, capable d’aimer, et de rendre amour pour amour ». Et plus loin : »Qui serait assez fou pour se laisser séduire par des choses aussi futiles que les honneurs, la gloire, les immeubles, les vêtements, les parures ? »,  écrit-il. Puis il lance avec emphase : « Priver la vie d’amitié, c’est priver le monde de soleil. Les dieux ne nous ont rien donné de meilleur, ni de plus agréable ». 

Ce De amicitia pourrait être mieux traduit par « Eloge de l’amitié », tant Cicéron est prolixe pour en mesurer les bienfaits, et réclamer en toutes occasions, la présence d’un ami véritable. Mais ne chipotons pas la traduction, car celle de Christiane Touya est excellente. Elle respecte le balancement de la phrase latine, la redoutable dialectique de l’avocat, et sa force de persuasion. En lisant le français, on entend le latin ; à plus de deux mille ans de distance, c’est bien joué. 

Didier Ters

Cicéron, L’Amitié, Arléa, avril 2021, 90 pages, 7 eur 

Laisser un commentaire