Histoires simples : de quel pays Lyonel Trouillot est-il le nom ?
Haïti est une terre riche en littérature. Est-ce dû à son histoire si particulière ? Si douloureuse ?
Le coût de l’indépendance
Au moment de la Révolution française, les esclaves de Saint-Domingue s’insurgent, la Convention reconnait leur indépendance en 1794. Napoléon n’en veut pas, il rétablit l’esclavage, mais son armée est battue par Jean-Jacques Dessalines : la république d’Haïti est proclamée en 1804, elle est la première république d’esclaves noirs à s’être libérés par eux-mêmes. Haïti est le nom que les indiens caraïbes donnaient à leur île. Mais pour avoir la paix, il leur faut payer ! Afin de compenser les pertes causées aux colons, Haïti consent en 1825 à verser à la France une indemnité de 150 millions de francs or ensuite réduite à 90 millions (soit environ 198 millions d’euros de 2006). La population est alors d’environ 500 000 personnes… Le pays continuera de rembourser les emprunts et intérêts auprès des banques françaises jusqu’en 1952… 127 ans d’intérêts, ça fait ! On estime qu’Haïti a déboursé environ 560 millions de dollars en valeur actualisée.
On trouve là une des raisons de la pauvreté et de l’instabilité politique de ce pays qu’on peut qualifier de martyr.

Il n’empêche, les écrivaines et écrivains haïtiens ont apporté des trésors à la langue française. Parmi les cent cinquante (environ) auteurs recensés depuis le XIXième siècle, on lit aujourd’hui avec bonheur Jacques Roumain, René Depestre, Jean Métellus, Dany Laferrière, Louis-Philippe Dalembert, Anthony Phelps, Yanik Lahens…
Tous écrivains !
Lyonel Trouillot fait lui-même partie d’une dynastie d’intellectuels. Ernst Trouillot, avocat, journaliste, a donné son nom à Michel-Rolph Trouillot, anthropologue, Évelyne Trouillot, romancière, Jocelyne Trouillot, écrivaine, tous et toutes demi-frères et sœurs de Lyonel Trouillot.
Il a publié une vingtaine de romans, et nous propose ici un recueil d’Histoires simples, de deux à huit ou neuf pages, qui sont autant de portraits plus ou moins fantastiques. On sait qu’en Haïti les morts vivent souvent avec les vivants, vaudou oblige ! Il arrive en effet qu’un ancien disparu surgisse sur la route, ou emprunte l’apparence d’un vivant, d’où certaines péripéties dont je laisse la primeur au lecteur. Dans son épilogue, Lyonel Trouillot déclare : « il y aurait beaucoup à dire sur ces histoires dites simples ». Des histoires de simples gens, donc, des histoires fidélités, de trahisons, de joies et de douleurs qui nous donnent à sentir et ressentir les couleurs de la vie en Haïti. Ce qu’un traité, un documentaire ne réussirait pas à faire : là est la puissance de la littérature. Combattant pour la démocratie, communiste, son œuvre entière donne la parole aux sans-voix. « J’en ai tant vu, écrit-il, dans ce Port-au-Prince où j’ai appris à regarder, qui étaient de fabriques de malheur, voire d’horreurs pourtant passées inaperçues, noyées dans un trop-plein de tristesses ordinaires ». Ce livre n’a pour autant rien de noir (si j’ose dire !), sans doute parce que l’auteur manifeste sans cesse vis à vis de ses personnages une tendresse amusée.
Pourquoi des histoires si courtes ? Sans doute pour nous faire ressentir la diversité des parcours, des destins. Mais aussi : « le seul mérite que je revendique, dit-il, c’est d’avoir, pour chaque histoire, essayé de provoquer un ennui de très courte durée ». Le livre se termine sur cette gentille pirouette.
Mathias Lair
Lyonel Trouillot, Histoires simples, Actes Sud, mai 2024, 128 pages, 13,80 euros