Éric Barbier adapte « La Promesse de l’aube » : interview exclusive

De Romain Gary on se souvient surtout aujourd’hui qu’il fut le seul à emporter deux Prix Goncourt. L’un sous son propre nom, et l’autre via un pseudonyme, Émile Ajar (qui n’était autre que son neveu). L’affaire fit grand bruit. Les cinéphiles se souviennent aussi, peut-être, que Gary passa par deux fois à la réalisation, signant des œuvres qu’il vaut mieux oublier… N’en demeure pas moins que ce Romain (de son vrai prénom Roman !) fut et reste un auteur de grande qualité doté d’une grande culture. Plusieurs de ses ouvrages ont été portés à l’écran. C’est au tour de La Promesse de l’aube, ouvrage semi-autobiographique où la fiction empiète parfois sur la réalité, et vice versa. À noter que Jules Dassin adapta lui aussi ce livre dans les années 70, offrant le rôle de la mère à sa compagne Mélina Mercouri. Cette fois c’est Charlotte Gainsbourg qui hérite du rôle. Tandis que Pierre Niney campe un Gary plus vrai que nature. Réalisation, adaptation et dialogues : Éric Barbier.

 

Entretien avec Éric Barbier, le réalisateur du film « La Promesse de l’aube »

Éric Barbier, interview Les Promesses de l'Aube

 

Comment présenteriez-vous votre film ?

C’est une histoire de vengeance. C’est un western ! C’est l’histoire d’un enfant qui assiste à l’humiliation de sa mère ; tout son travail va être de venger sa mère. Enfant, il n’est physiquement pas capable de la venger mais petit à petit il va se construire et venger sa mère dans tous les sens du terme. Je trouve que c’est une dynamique de cinéma très forte.

 

Est-ce difficile d’adapter un livre de cette ampleur ?

Le roman est très foisonnant. La première chose que j’ai faite a été de découper toutes les situations du livre, enfin toutes celles qui pouvaient donner potentiellement des scènes de cinéma. Et je suis arrivé à 850 situations ! Ce qui est colossal. J’ai resserré de plus en plus sur les relations entre la mère et le fils. Par exemple j’ai coupé tout le passage à Varsovie où Romain reste quatre ans… Le vrai problème quand j’adapte La Promesse de l’aube c’est que j’ai un couperet sur la tête qui est que ce livre est étudié à l’école, c’est de la littérature française au sens grand du terme et il y a depuis peu un retour de Romain Gary qui a été ostracisé dans les années 70-80 du fait de son gaullisme. Tout cela fait un énorme poids. Et quand j’ai dit que j’allais adapter La Promesse de l’aube, tout le monde m’a traité de dingue. Heureusement j’ai trouvé un axe et j’ai oublié tout ça.

 

 

Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce livre ?

L’universalité du sujet. Qu’est-ce que nos parents, et en particulier notre mère, nous ont transmis ? C’est un sujet qui parle à tout le monde, dans tous les pays, dans toutes les races, dans toutes les religions. Et puis la maman est toujours un sujet compliqué qu’on ait des bons rapports ou pas. Le livre raconte ce lien. Je me suis concentré sur ce sujet-là.

 

Vous êtes-vous senti libre ?

Oui, je me suis senti totalement libre tout en m’efforçant de rester très proche du livre. Par exemple, j’ai tenu à illustrer les scènes de combat et d’aviation par des extraits des lettres de la mère. Le défi pour moi a été de raconter cette histoire sans trahir Gary dans le fond. J’ai énormément travaillé l’esthétique mais l’esthétique doit être cohérente avec le fond.

 

 

Pourquoi Pierre Niney ?

Je ne suis pas du tout parti dans l’idée d’un biopic donc ça m’était égal que l’acteur ressemble ou non à Romain Gary. De toute façon le livre n’est pas une autobiographie factuelle. Par exemple la mère n’y a pas le nom de sa mère. C’est vraiment une autobiographie inventée. Il invente sa mère, il invente des événements extraordinaires. Il s’est même inventé une autre paternité alors que l’on sait que Romain Gary est le fils d’un fourreur. Et il le savait très bien ! Donc j’avais une grande liberté. Il ne me paraissait pas utile de travailler sur la ressemblance comme Pierre l’a fait pour Saint-Laurent.

 

Comment avez-vous convaincu les producteurs ?

Je n’ai pas eu à le faire, ce sont les producteurs qui m’ont convaincu ! Ce que je veux dire c’est que ce n’est pas un projet que l’on entreprend seul. On n’arrive pas un matin dans le bureau d’un producteur en disant « Je veux faire La Promesse de l’aube, donnez-moi 23 millions ! » Ça ne marche pas comme ça. L’histoire est très différente. En fait, les droits d’adaptation du livre se sont libérés. Gallimard a appelé Philippe Rousselet qui m’a demandé si ça m’intéressait. J’avais un souvenir de Romain Gary mais je n’ai pas dit oui tout de suite. J’ai relu le livre, j’ai travaillé dessus. De plus, le fils de Romain Gary et de Jean Seberg a demandé à chaque metteur en scène intéressés d’indiquer qu’elle était sa vision du film. Trois maisons de production ont fait des propositions et il a choisi la nôtre. Je sais qu’une des firmes avait proposé de faire le film en anglais et ça a été refusé. Pour moi c’était une hérésie ! Je tenais absolument à ce qu’il y ait un travail sur les langues c’est-à-dire que chacun parle sa propre langue. Et Romain lui-même mélange le polonais, le français, l’anglais et l’espagnol. Il parlait le russe aussi. Et je voulais rendre cet aspect complexe du personnage. Les producteurs m’ont suivi dans cette voie. Le film a été vraiment porté par une équipe.

 

À qui appartenaient les droits ?

Je ne sais pas exactement mais ils ont été bloqués pendant des années mais personne n’a jamais réussi à monter le film. Sans doute parce qu’il était trop ambitieux…

 

Propos recueillis par Philippe Durant 

 

LA PROMESSE DE L’AUBE

D’Éric Barbier

Avec Charlotte Gainsbourg, Pierre Niney, Didier Bourdon, Jean-Pierre Darroussin

sotie en salle le 20 décembre 2017

 

Le roman de Romain Gary, La Promesse de l’Aube, est publié par Gallimard

(parution originale avril 1973)

« Folio », n° 373, 464 pages, 8,30 euros

 

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