Ninja Turtles : Teenage Years, saturation pop
Cerné par des soldats à la solde d’une puissante corporation, un scientifique versé dans la manipulation génétique animale parvient à faire évader le fruit de ses recherches tandis qu’un mystérieux mélange né de ses travaux se déverse dans les égouts. Touchés par le fluide, quatre bébés tortues et un rat mutent progressivement pour acquérir une apparence et une conscience en partie humaine. Ils préfèrent se tenir à l’écart du public jusqu’au jour où les jeunes tortues, formées désormais aux arts martiaux, décident de sortir au grand jour pour devenir des héros, au contact d’April, une apprentie journaliste.
Véritable phénomène amorcé au cœur des années quatre-vingt, le comic book Teenage Mutant Ninja Turtles a séduit plusieurs générations de lecteurs, s’imposant comme l’une des franchises majeures de l’industrie, se démarquant nettement des productions Marvel et DC. Sa popularité lui a valu plusieurs adaptations cinématographiques ou télévisuelles. L’inconscient collectif a surtout retenu la série animée diffusée de 1987 à 1992. Sur grand écran, le destin des héros à carapace fut plus contrasté, les différents longs-métrages en live action n’ont point rendu hommage à la licence et les films d’animation, bien qu’honnêtes, ne sont pas parvenus à rassembler tous les suffrages.
Voilà pourquoi ce Ninja Turtles : Teenage Years supposé remettre les compteurs à zéro au cinéma suscitait énormément d’attentes. Le projet codirigé par Jeff Rowes et Kyler Spears est censé en effet revitaliser la saga en proposant une relecture des origines des célèbres protagonistes. Certes, ce postulat sent le réchauffé après quinze ans de MCU, mais il bénéficie d’une esthétique dans la lignée des deux derniers opus animés de Spider-Man (Into the Spider-Verse et Across the Spider-Verse) ce qui intrigue forcément. De là à concurrencer sur le fond et sur la forme les réussites engendrées dans les studios Sony ? Pas sûr…
Genèse cool, mais contrastée
Pourtant, a priori, le propos des réalisateurs de La Grande Aventure Lego a de quoi séduire, propos fondé sur le scénario élaboré par Seth Rogen et Evan Goldberg (duo encensé en partie à tort, derrière Supergrave et Sausage Party). En se concentrant non seulement sur les origines, mais aussi sur l’adolescence des personnages, ils adoptent une démarche identique, gagnante à l’époque, à celle de Matthew Vaughn sur X-Men : First Class. Et si les préoccupations de tout ce petit monde ne se distinguent pas par leur subtilité et n’évitent pas les stéréotypes, elles ont le mérite d’offrir un développement narratif fonctionnel à l’ensemble. En naviguant d’ailleurs dangereusement sur les problèmes de harcèlement et de ségrégation, le long-métrage prend des risques calculés, mais bienvenus.
En outre, grâce à cette approche, les auteurs retrouvent la fougue juvénile qui avait séduit le lectorat puis les téléspectateurs durant les années quatre-vingt. Les héros redoublent d’énergie et de volonté, vacillent à l’image d’un certain Peter Parker, recherchent de l’attention comme les autres jeunes de leur âge et communient ainsi avec leur public, par cette assimilation qui existait à la création de Spider-Man par exemple. Le film s’appuie sur cette formule classique, mais pétillante et trouverait presque l’étincelle à même de propulser au sommet ses intentions. Hélas, alors que tout s’engageait pour le mieux, l’humour s’en mêle pour le pire. Si son utilisation diffère des blockbusters du MCU, elle n’en demeure pas moins très maladroite et va accentuer les défauts qui minent l’entreprise de Jeff Rowe et Kyler Spears.
Trop de références tuent la référence…
Ici, il ne s’agit pas de désamorcer la tension dramatique par quelques blagues douteuses comme dans les longs-métrages de l’écurie de Kevin Feige, mais de remplacer les bons mots par des citations forcées se rapportant à la pop culture. Les metteurs en scène s’imaginent qu’en démultipliant les références, Ninja Turtles : Teenage Years remplira ses objectifs, à savoir paraître dans l’air du temps. Cette aspiration d’ailleurs n’est pas nouvelle puisque bon nombre de travaux liés au cinéma de genre se sont essayés à cet exercice à commencer par le Ready Player One de Steven Spielberg. Hélas, si ce procédé s’avère alléchant sur le papier, la propension à l’employer jusqu’à la nausée ou dans le cas présent sans aucune finesse irrite au plus haut point, d’autant plus qu’en forçant sur ce trait, les fissures sous la carapace de l’entreprise s’élargissent davantage.
On s’aperçoit alors qu’en lieu et place du dispositif virtuose promis, digne de Spider-Man Across the Spider-Verse, ne subsiste qu’une pâle imitation de ce que les différentes œuvres super-héroïques ou même d’aventures nous ont offert par le passé. Aucune empoignade homérique ne se profile à l’horizon, excepté quelques combats certes correctement chorégraphiés, mais sans saveur. Les retournements de situation se mélangent à une tonalité mièvre et la maturité attendue n’émerge jamais. Quant au final, il n’apporte rien de concret et surtout manque cruellement d’inventivité.
Par conséquent, même s’il n’est pas dépourvu de qualités, ce Ninja Turtles : Teenage Years ne dépasse pas le stade des bonnes intentions. Incapable de grandir à l’inverse de ses protagonistes, il ne parvient pas à digérer ses influences, handicapé par les artifices élaborés à l’écriture. Pas catastrophique, mais tout juste passable, le film nourrira quelques regrets aux admirateurs du quatuor de choc, mais aussi aux réalisateurs.
François Verstraete
Film d’animation américain de Jeff Rowe et Kyler Spears avec les voix de Micah Abbey, Shamon Brown Jr, Rose Byrne, John Cena, Jacky Chan. Durée 1h39. Sortie le 9 août 2023.