Pierre Messmer, gaulliste jusqu’à la mort

Un spécialiste du gaullisme et des gaullistes

Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Savoie Mont Blanc, Frédéric Turpin est un spécialiste d’histoire politique particulièrement axé sur l’étude du gaullisme et de la décolonisation. Il est ainsi l’auteur d’une biographie remarquée du principal conseiller de de Gaulle, Jacques Foccart, paru aux éditions du CNRS, en 2015. Il vient de faire paraître une biographie de Pierre Messmer, une occasion de revenir sur une figure singulière de la vie politique française.

L’homme d’action

Issu d’une famille alsacienne qui a choisi la France après la défaire de 1870, Pierre Messmer se destine assez rapidement à devenir administrateur colonial. La guerre vient bouleverser ses plans et le jeune Messmer choisit de se rallier à de Gaulle et il s’engage donc dans la France libre. Soldat dans la légion étrangère, il est de toutes les campagnes ; Dakar, Bir Hakeim, la Libération. Messmer a donné de sa personne, sans conteste et occupe une place de choix parmi les compagnons de la Libération.

Parti en Indochine, il est fait prisonnier par le vietminh, une expérience qui va conditionner la suite de sa carrière : il est désormais que le temps des colonies touche à sa fin. Comme administrateur colonial, Messmer s’attache désormais à préparer la transition vers l’autonomie de l’AOF et de l’AEF et participe ainsi à la loi-cadre préparée par Gaston Deferre en 1956 : on ne parle pas encore d’indépendance mais on y pense…

L’homme de confiance

En 1960, Messmer devient ministre des armées du Général, en pleine guerre d’Algérie. Soldat dans l’âme, Messmer doit faire face au putsch de 1961, à la montée de l’OAS et doit épurer le corps des officiers. On l’accusera de ne pas en avoir assez fait pour les harkis en 1962 mais pourtant, comme le démontre Frédéric Turpin, il a fait le maximum dans les limites permises par le gouvernement de l’époque. Il participe bien sûr à la création de la dissuasion nucléaire et à la transformation de l’armée suite à la disparition de l’empire colonial. Il se montre efficace, loyal envers de Gaulle, son héros.

En mai 68, il est aussi un des rares à garder son calme, alors que tout part à vau l’eau… Pour autant, Frédéric Turpin oublie de mentionner ses ambiguïtés : on sait par exemple que Messmer envoya des spécialistes du renseignement « former » des militaires américains à la contre-guérilla, ce qui impliquait des techniques spéciales d’interrogatoire…

Le politique contrarié

La mort de de Gaulle ne met pas fin à la carrière de Messmer, que Pompidou nomme à Matignon après avoir viré Chaban en 1972. Il incarne le virage conservateur du gaullisme, sans doute à son corps défendant car l’homme est complexe, cette biographie de Turpin le démontre bien : il prépare ainsi un premier projet de légalisation de l’avortement. Messmer est aussi l’homme qui donne une impulsion décisive au programme de nucléaire civil (fortement contesté aujourd’hui par les écologistes). Mais Messmer n’est pas un politique, il ne sait pas communiquer et rate ses passages à la télévision, contrairement à Giscard par exemple. En 1974, Chaban est candidat pour le parti gaulliste et Messmer le laisse faire après avoir tenté de proposer sa candidature (on reconnaît là la patte de l’inénarrable Marie-France Garaud).

Après Matignon, Messmer s’engage au RPR et joue le rôle de caution « gaulliste » : Chirac en avait besoin pour se légitimer auprès des militants, ainsi que de ses conseils sur l’Afrique. Ce sera son dernier rôle en politique, qu’il assume pour sauver l’essentiel de l’héritage gaulliste. La fin de sa carrière le mène à l’Académie et à l’Institut où il gagne le respect de ses pairs.

Cette biographie est une belle occasion de revenir sur un homme politique de « l’ancien monde » plutôt attachant.

Sylvain Bonnet

Frédéric Turpin, Pierre Messmer, Perrin, mars 2020, 448 pages, 25 eur

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