Rester noble dans le monde des affaires, de l’utilité des anciennes élites
Professeur d’histoire à la Sorbonne, Eric Mension-Rigau est un spécialiste de l’aristocratie française contemporaine à laquelle il a consacré de nombreux ouvrages dont récemment Enquête sur la noblesse, la permanence aristocratique (Perrin, 2019). En début d’année il a publié un nouvel ouvrage qui essaie d’analyser comment les nobles actuels ont percé dans le monde de l’entreprise. Et il s’agit aussi d’une enquête sociologique, l’auteur ayant interrogé beaucoup de ces hommes d’affaire d’un autre type.
Un changement de taille
Il faut tout de suite remarquer qu’il s’agit d’un changement de taille. Après la Révolution, la noblesse française avait reconstitué sa fortune et son patrimoine en investissant dans la terre. Si beaucoup de nobles s’engageaient dans l’armée ou dans la diplomatie, peu fondaient des entreprises comme s’ils respectaient toujours l’ancienne interdiction édictée par l’église et les rois de France de faire du « vil commerce ». Mais les patrimoines ont fondu à cause de l’inflation, des guerres, des partages successoraux aussi. Alors, à l’orée des années quatre-vingt, certains ont donc investi le monde des affaires comme Henri de Castries ou Nicolas de Tavernost, ce dernier devenant patron de M6.
Le poids et l’atout d’une éducation particulière
Ces descendants de lignées prestigieuses ont dû adapter leur façon de voir le monde, tout en restant fidèle à l’éducation qu’ils ont reçue. Ainsi ces hommes d’affaire essaient de garder leurs principes issus de la morale chrétienne et sont plus accessibles au long terme, eux qui sont les héritiers de leur nom. Ils ne s’assimilent pas à la bourgeoisie, vieille querelle séculaire, ne s’abandonnent au mépris professé par les élites libérales pour les gens d’en bas. Ce livre nous révèle des nobles très à l’aise pour négocier avec les syndicats, ça ne plaira pas à certains. Tous en tout cas essaient de se montrer exemplaires et respectueux d’une morale séculaire : de modernes chevaliers. En tout cet essai va à l’encontre de pas mal d’idées reçues.
Sylvain Bonnet
Éric Mension-Rigau, Rester noble dans le monde des affaires, Passés composés, janvier 2024, 288 pages, 22 euros