« Et si je devenais dictateur » ? petit guide du parfait despote

Couverture du livre Et si je devenais dictateur ?Avec beaucoup d’humour et un second degré acéré, mais fondé sur une documentation impeccable, Mikal Hem, journaliste norvégien qui anime son blog spécialisé sur les dictatures, fait une étude précieuse des dictateurs, sous la forme d’un mode d’emploi idéal pour, à son tour, devenir un parfait petit dictateur en dix étapes essentielles.

 

Devenir dictateur

Quels sont les moyens, les bons moments, voire les bons pays qui par leur climat tropical ou les enchaînements de misères est devenu mûr pour une reprise en mains autoritaire. Comment réussir son coup d’état (avec ou sans le soutien d’une grande puissance étrangère) ? réussir par les armes ou par les urnes ? asseoir une autorité religieuse ou militaire ? toutes les voies mènent au trône sous réserve qu’on ai bien étudié les potentiels du pays et mis en place un plan précis.

 

Garder le pouvoir

Une fois au pouvoir, il faut tenir la police ou l’armée, résister aux pressions internationales, garder l’opposition la plus silencieuse possible (voire muselée si ce n’est éliminée…), se « payer » une élection pour s’auto-légitimer, contrôler les médias et la liberté des citoyens, faire de son pays le centre d’une supériorité raciale pour que le peuple soit valorisé et manipulé en même temps. Il faut aussi installer sa dynastie pour que le pouvoir son conservé après soi.

 

Et si je devenais dictateur ?

 

Promouvoir le culte de votre personnalité

Devenir un Dieu ou un prophète, qui ne rêve pas d’atteindre à un te statut, quitte à passer la moitié de sa population par les armes ? Son culte personnel lié au destin et à la mythologie même du pays (François Duvalier règne sur Haïti de 1954 à 1971 comme « papa vaudou ») c’est aussi un titre glorieux (ainsi le « Léopard » Mobutu se choisit-il comme nom à partir de la zaïrianisation entamée en 1973 : Mobutu Ses Seko Kuku Ngbendu wa za Banga, c’est-à-dire Mobutu, le guerrier qui vivra éternellement et va de victoire en victoire sans que personne ne puisse l’arrêter) , des statuts partout (comme Saddam Hussein ou Niazov…), voire donner son nom à tout et n’importe quoi (Rafael Trujillo, à Saint-Dominique, renomme-t-il la capitale, la plus haute montagne, la principale région de son patrtonime).

 

S’enrichir

Quand Jean-Bedel Bokassa (1921-1996) est mort, un diplomate français s’en est ému en ces termes : c’est dommage pour le pays, car son successeur va être pire, Bokassa avait déjà fait fortune… Et plus les pays sont pauvres, plus les dictateurs sont riches, comme c’est notamment le cas en Corée du Nord. Il faut donc installer un système pyramidal de corruption qui remonte jusqu’à soi, s’approprier les ressources naturelles du pays, et surtout confondre volontiers les caisses de l’état et les siennes propres.

 

La richesse est assurée si vous devenez dictateur. La seule limite sera votre inventivité »

Utiliser sa richesse

Une fois riche, il faut promouvoir sa propre grandeur par des travaux grandioses en construisant des villes et des palais. Ou bien laisser sa tendre épouse être dispendieuse à souhait comme Madame Grace Mugabe qui dépensait des dizaines de millions de dollars lors de ses escapades shopping à l’étranger… Ou bien organiser des célébrations fastueuses à sa propre grandeur, comme Bokassa qui dépensa 22 millions de dollars pour la cérémonie de son sacre impérial (240 tonnes de nourriture, 40 000 bouteilles de vin, 24 000 de champagne…). Bien sûr, son palais et ses voitures doivent en imposer, comme ses vêtements et le train général des siens, quitte à rouler en Rolls blindée parmi les miséreux qui forment le gros de sa population.

 

Le pouvoir est l’aphrodisiaque suprême »

Copuler

Un des avantages d’être dictateur, c’est le nombre de ses épouses, de ses maîtresses, et son autorité sexuelle sur toutes les femmes de son pays qui, de fait et pour ainsi dire de droit vous appartiennent. Seriez-vous plutôt SM comme Hitler, plutôt latin lover comme Mussolini, moteur de parties fines avec les gardes du corps de son armées féminine comme Mouammar Kadhafi ou simplement adepte des prostituées de haut vol livrées avec ses costumes Smalto comme Omar Bongo ? Quelles que soient vos pulsions bestiales, devenir dictateur est le meilleur moyen de les assouvir.

 

Ecrire

Laisser une trace dans l’histoire en donnant sa vision du monde comme Mao, voire plutôt reformuler le passé pour s’imposer comme le fils naturel du destin de son pays, voici de beaux projets. Toutefois, écrire en artiste, comme Hitler (dont Mein Kampf était donné à chaque jeunes mariés, achetés en masse par les entreprises allemandes, etc.) ou Kadhafi (qui mit son inénarrable Livre vert au programme des écoliers), et être dictateur, c’est le moyen idéal pour s’assurer des ventes sinon un lectorat inégalé.

 

Garder le style

Etre reconnaissable, et toujours impeccable, quel que soit votre dress code, la tenue militaire étoilée ou la tenue tribale traditionnelle. Et bien sûr être le lanceur des modes. Mais le style est aussi celui de ses villes, qu’il faut modifier selon ses propres codes (néo-grec pour Hitler), quitte à changer tout le paysage ou à « tricher » en créant des villages Potemkine destinés à imposer une image idéale et factice de son pays, cachant derrière le carton pâte la vraie misère.

 

Et si je devenais dictateur ?

 

Partager vos biens (avec vos proches)

Enrichir les siens, de biens immobiliers (les fameux « biens mal acquis ») ou de petits cadeaux, mais surtout utiliser son pouvoir pour les doter de titres ronflants, de diplômes universitaires ou de permettre toute les fantaisie à sa fille chérie, comme Gulnara Karinova, fille d’Islom Karimov qui règne sur l’Ouzbékistan de 1991 à 2016 : l’université lui confie une chaire de science politique, alors qu’elle assouvit sa passion en devenant chanteuse pop nationale et créatrice de mode, ce qui ne l’empêche pas de mener sa carrière politique en étant notamment vice-ministre des affaires étrangères…

 

Partir à temps

Soit vous parvenez à garder le pouvoir jusqu’à votre mort, soit vous évitez d’être renversé en partant vous réfugier au bon moment auprès de quelque démocratie amie, comme en France où s’installèrent Bokassa, Davallier… Si l’on est resté un peu trop longtemps, on risque bien de finir ses jours en prison (comme Manuel Noriega ou Charles Taylor), dans le meilleur des cas.

 

Nourri de très nombreux exemples, pris à toutes les dictatures à travers le monde (Libéria, Corée du Nord, des « républiques » de l’ancien bloc soviétique, etc.) ou l’Histoire (Mao, Hitler, etc.) , cette véritable analyse des moyens de devenir et rester un parfait despote. On retrouve quelques magnifiques figures, tellement grotesques et boursouflées qu’on se demande comment elles ont pu s’installer et tenir (Gurbanguly Berdimuhamedow est le « patron protecteur » du Turkménistan depuis 2006, succédant à son mentor Niazov) mais aussi des ratés, des baudruches, des marionnettes aux mains de grandes puissances étrangères…

Dictateur, un métier d’avenir ? A vous de juger avec ce guide très intelligent, nourris, drôle et, en même temps, terrible comme vision du monde.

 

 

Loïc Di Stefano

 

Mikal Hem, Et si je devenais dictateur, traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud, Gaïa, mai 2017, 288 pages, 21 euros

 

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