Étranges éons de Robert Bloch : Lovecraft for ever !

Révision bienvenue avec Étranges éons chez Mnémos de l’hommage du disciple Robert Bloch à son maître providentiel HP Lovecraft !

Avec Étranges éons de Robert Bloch, il sera dit que cette année est l’année Lovecraft ! Revue par Patrick Mallet, cette traduction de François Truchaud autrefois baptisée Retour à Arkham est un fort bel hommage fanique de Bloch à son mentor originel. Il rejoint la longue liste des publications consacrées au maître de Providence ! Comme l’épatant Lovecraft Country dont je vous parlais il y a peu, impétrant lecteur.

Issu de l’école des pulps, Robert Bloch est de cette génération dorée qui biberonna à tous les genres. Tels ces épigones Richard Matheson et Fredric Brown, il fureta dans tous les genres populaires : Polar, SF et fantastique. Mais c’est dans l’épouvante que ce parangon de la psychée humaine dévoyée à qui on doit les Psychose.s, chers à Hitchcock, débuta. Fasciné comme beaucoup par la prose pleine de hantise de HPL, il se lança en écriture, souvent, à ses débuts à 16 ans, à la manière de…

Bloch et Lovecraft, une filiation

1983, recueil par Stéphane Bourgoin

Il vendit ainsi toute une série de nouvelles écrites en hommage à son maître dans les années 1935-37 pour la célèbre revue Weird Tales. Il faut lire de lui le Démon Noir, recueil concocté par Stéphane Bourgoin en 1983, pour comprendre la dette que Bloch estimait devoir à Lovecraft. Pour comprendre le lien qui les unit tous deux. On y voit là son évolution vers une maîtrise plus assurée de son écriture, au-delà de l’univers de Cthulhu. Un pont entre les années 30 et 50. Un inédit de Lovecraft conseillant le jeune Robert Bloch sur des corrections à apporter à ses écrits, démontre surtout ce rôle de mentor que Lovecraft remplit pour nombre d’écrivains.

Ils composèrent un réseau : le cercle Lovecraft. Clark Ashton Smith, Franck B. Long, Donald Wandrei, August Derleth etc qui sut rendre hommage au « maître » en le faisant découvrir au monde entier. Seulement Étranges éons va bien plus loin qu’un simple hommage !

Tout en relisant ces lignes, je regarde, à l’autre bout de la pièce, sur ma bibliothèque, ce trophée qui m’a été remis voici quelques semaines à Providence. Et, une fois encore, je me surprends à voyager dans le temps : je revois la cérémonie du banquet…la Californie de 1937, lumineuse et insouciante…l’époque de ma correspondance et de mes débuts d’écrivain à Milwaukee, au 620 Knapp Street…le temps de mon enfance, Chicago et ce jour de 1927 où, pour la première fois, je tombe sur la signature de Lovecraft dans ce fameux numéro de Weird Tales. Je vois une image paternelle, un ami, un artisan de mon destin, un compagnon de route, un voyageur dans le temps comme moi.

voyage dans le temps avec Lovecraft, Robert Bloch, postface et conférence de la première convention mondiale du fantastique à Providence en 1974, in Le démon Noir

Un what if horrifique, seulement ?

Car, a contrario des monumentales sommes parues ou à venir grâce à des succès Ulule incroyables, comme Je suis Providence la bio en 2 tomes de ST Joshi chez ActuSf et le projet prestigieux d’intégrale de Mnémos (près de 400 000 € récolté), la seule ambition d’Étranges éons est le plaisir viscéral de la frousse ! L’horreur jouissive, unique, des cauchemars instillés dans nos esprits, pervers car complices (oh oui !), par la lecture des textes de Lovecraft ! De ses visions ?

Car par-delà les murs du sommeil, le postulat d’Étranges éons de Robert Bloch, est que HP Lovecraft fut plus qu’un écrivain d’épouvante ! Cet expert maladif et parano des littératures fantastiques, dont la culture imprégnait tout son travail, obsédait toutes ses recherches ! Le cœur aussi de ses correspondances multiples avec ses fans ou les apprentis écrivains en quête de conseils comme Robert Bloch. Épouvante et surnaturel en littérature, le seul essai de Lovecraft qui nous soit parvenu, dit déjà très bien cela. Mais, il ne dit rien de la raison, des racines de cette obsession…

Donc, c’est à un « Et si… » jubilatoire et machiavélique que va s’amuser Robert Bloch. Et si…HPL n’avait fait que voir dans ses rêves, prévoir dans ses hallucinations, la VRAIE réalité. Le savoir caché aux yeux de tous que la terre, notre Terre, n’est que le réceptacle à la finalité inéluctable du monde : le règne des Grands Anciens !

Alors suivons l’esprit torturé de Bloch dans les méandres du corpus Lovecraftien ! Plongeons sans coup férir et avec délice dans le maelstrom des sidérations hallucinées de ces deux maîtres de la peur !

Thrilling : acte 1

Et pour ouvrir le roman, le long chapitre Maintenant, crée tout de go l’ambiance idoine. Albert Keith est un érudit et un oisif. Rentier, son seul vrai loisir est la collectionnite. L’art en particulier. Mais pas n’importe lequel : l’art fantastique. Les résurgences de pratiques oubliées, les manifestations de créateurs étranges et dérangeants. Des expressions de visionnaires…ou de fous ?

Son cabinet de curiosité vaut le détour. Têtes réduites tribales, artefacts artisanaux issus de pratiques de sorcellerie, objets inquisitoires ou magiques. Son antre est comme une ode morbide au bizarre. Au Weird ! Mais il est pourtant un homme serein, Albert. Conscient que par cette manie, finalement, il conjure la peur, la vraie, loin de lui. Ou la convoitise. Croit-il…

Car en tombant sur un tableau stupéfiant dans l’arrière-boutique d’un antiquaire, il est comme sidéré !

Albert Keith ne croyait pas au coup de foudre. Et puis il vit le portrait.

Il ne s’agissait pas s’un visage aux traits harmonieux. À vrai dire, il évoquait plutôt celui d’un chien, avec ses yeux injectés de sang qui étincelaient, son museau aplati en guise de nez, ses lèvres maculées de bave et ses oreilles pointues. Quant au corps accroupi et couvert de moisissure, il n’était que vaguement humain : les membres supérieurs se terminaient par des ongles osseux couverts d’écailles, et, plus bas, les pieds semblaient fourchus.

La créature représentée sur la toile était gigantesque ; en comparaison, la silhouette humaine qu’il tenait entre ses griffes paraissait minuscule. Malgré la couche de poussière qui recouvrait le tableau, Keith put aussi remarquer que la tête de l’homme avait été rongée.

Dans la pénombre de l’arrière-boutique miteuse du petit magasin de South Alvarado Street, un frisson le parcourut.

Incipit du roman p7

Amazing : l’enquête ésotérique !

La convoitise l’emporta ! Une sensation rare et puissante qu’il s’empresse de raconter à son meilleur ami le bibliophile Simon Waverly. Et c’est ce dernier justement, qui lui révèle les liens entre le tableau et l’oeuvre de HP Lovecraft. Car en nettoyant consciencieusement le tableau, Keith a mis à jour une signature. R. Upton, pour Richard Upton Pickman. Peintre maudit et disparu mystérieusement, dont les tableaux scandalisèrent et obsédèrent tout autant ses spectateurs… imaginaires !

Saturne dévorant l’un de ses fils, Francisco Goya, 1819-1823, Musée du Prado, Madrid

Car ce peintre, cette goule, La goule par excellence, sont oeuvre de fiction. Personnages centraux de la terrible nouvelle le modèle de Pickman . Datée de 1927 dans Weird Tales, elle narre les obsessions du peintre bostonien pour les goules. Des créatures chtoniennes, profanatrices de cimetières, dévoreuses de cadavres, exhumeuses de tombes. Et qui, brusquement, pénètrent dans le métro pour assouvir une faim toujours insatiable. Jusqu’à la chute et la disparition de l’artiste excentrique. Avec pour seule trace, telle une preuve improbable, un cliché RÉEL de la goule qui servit de modèle, punaisée au chevalet de son atelier vide et saccagé !

Sur ces bases, les deux acolytes tirent très vite le fil d’une pelote macabre. Car les cadavres commencent à pleuvoir. L’antiquaire, le libraire contacté par Waverly et fasciné par la piste d’archives inédites de HP Lovecraft…L’enquête, sanglante forcément, aboutira, aux antipodes du monde. Dans l’antre aquatique du retour de R’lyeh. Un destin ou un piège inéluctable ?

Terrifying : actes 2 et 3 !

Dès lors, du chapitre 2 Plus tard, mettant en scène Kay l’ex-épouse d’Albert Keith en proie aux sectateurs du Temple de la Sagesse des Étoiles qui prépare le retour de Nyarlatothep, jusqu’à l’apothéose et court final Bientôt, la trame impitoyable du plan fatal resserre sa toile.

CAR

N’est pas mort ce qui ne peut à jamais gésir, et au fil d’étranges éons même la mort peut périr.

p216

Car, sans forfanterie aucune, Robert Bloch dans Étranges éons prend un malin plaisir à rendre palpable un nombre incalculables de récits de HP Lovecraft. En les intégrant au récit, il réussit la gageure de provoquer ce vertige imaginé dans le postulat de départ du roman. Rendre réel les visions, faire croire aux histoires de HPL comme à une vérité cryptée qui mérite révélation !

Lovecraft est un des rares auteurs de l’imaginaire a avoir enfanté un univers devenu plus grand que ses créations. Et on ne compte plus les enfants légitimes ou non issus de ce monde parallèle devenu réalité. Livres, comics, films, jeux de rôle, Gaming et produits dérivés !

première édition de étranges éons Néo 22, 1980, Couverture Nicollet

Un voyage fantastique

Mais, peu d’œuvres ont été créées avec ce respect quasi-filial. Hormis August Derleth, le grand premier, le révélateur initial, Robert Bloch est bien l’un de ces fils prodigues là. Et la lignée n’est pas près de disparaître. Lovecraft, Bloch, King, Simmons. On voit bien une descendance directe entre tous ces noms ! Cthulhu soit loué ! Lovecraft est son prophète et Robert Bloch son grand prêtre !

Mazette ! Dire que c’est un vrai régal de lecture, c’est être en dessous de la vérité. C’est à un feu d’artifice auquel on assiste éberlué !

Embarquez pour cette messe noire !

Je ne sais comment se terminera mon propre voyage. Mais je suis sûr d’une chose : Lovecraft poursuivra son chemin, dans le temps, dans l’espace, jusqu’à une place qui lui est réservée dans le monde de merveilles qu’il a créé ; un monde qui durera aussi longtemps que l’Homme osera imaginer — et rêver.


voyage dans le temps avec Lovecraft, Robert Bloch, Le Démon Noir

Marc Olivier Amblard

Robert Bloch, Étranges éons, Éditions Mnémos, mars 2019, 216 pages, 17 eur

Quelques Bonus

En bonus, on ne saurait trop vous recommander d’aller baguenauder derechef sur la page Facebook pro de François Baranger, auteur SFF (Dominium Mundi !) et aussi génial illustrateur des univers de Lovecraft. Lovecraft illustrated by Baranger : un must !

Le trailer de la version anglaise de l’appel de Cthulhu illustré par François Baranger

Une autre pépite à compulser avec frénésie, tout juste sortie chez Bragelonne, le livre hommage de Sébastien Baert à l’influence de Lovecraft dans le Hard-Rock : Cthulhu Métal !

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