Etre communiste en URSS sous Staline, l’idéologie et le terrain

Une vie pour comprendre l’URSS

Fils du journaliste anglais Alexandre Werth, qui couvrit le siège de Leningrad par la Wehrmacht, Nicolas Werth est devenu historien de la patrie de la Révolution. Au cours de ses recherches à la fin des années 70, il a découvert, comme il le raconte dans sa préface, une source de premier ordre : en juillet 1941, les allemands ont mis la main sur les archives du parti pour la Biélorussie, entreposés à Smolensk et rapatriées ensuite aux Etats-Unis à la chute du IIIe Reich. Ainsi est né Etre communiste en URSS sous Staline, premier jalon d’une œuvre importante dédiée à l’URSS (on citera notamment son histoire de L’URSS aux PUF et L’île aux cannibales, parue chez Perrin).

 

Le communisme vu d’en bas

L’intérêt du livre est de nous donner à voir comment la base fonctionnait. Qui était le communiste de base ? Quelle était sa formation ? Quels débats agitaient les cellules ? Comment se répercutaient les décisions de Moscou sur le terrain. On découvre des militants plutôt frustes, qui en moyenne ont rarement dépassé l’instruction primaire. Ils n’ont donc pas une connaissance du marxisme-léninisme très développé mais ont la foi. Pour eux le communisme va réaliser le paradis sur terre (on sent l’influence chrétienne, paradoxale, sur la doxa bolchevik. Par rapport à la religion traditionnelle, les communistes sont censés être athées et se font tancer s’ils se marient à l’église ou si des icônes se trouvent chez eux (à cause des femmes, ah les femmes !).

Aux communistes néophytes, on demande d’être des exemples pour les masses, de ne pas boire ou du moins de ne pas s’enivrer (la remarque vaut son pesant d’or dans un pays où l’alcoolisme est roi), d’être probe, etc… Le moins qu’on puisse dire est que du rêve (idéologique) à la réalité, il y a une marge. Une réalité faite de paysans, koulaks ou pauvres, peu enclins à aller au Kolkhoze. Nicolas Werth explique d’ailleurs combien les dirigeants locaux « font écran », cachant la réalité au pouvoir central : la collectivisation entraîna une baisse de productivité de l’agriculture russe qui mena le pays dans les années 70 à importer des céréales des États-Unis. Et on touche ici à une caractéristique majeure du totalitarisme stalinien qui nie la réalité. Et si les choses ne marchent pas, la faute revient aux traîtres, serviteurs d’un complot fomenté par le capitalisme étranger contre l’URSS, la patrie des travailleurs…

 

affiche de propagande, 1944

 

Le contrôle de la base

Le parti communiste soviétique connut des phases d’extension et de régression durant la période des années 20 et 30, en liaison avec les conflits au sein du comité central, entre Staline et les autres (le génie du futur dictateur étant de s’appuyer sur certains courants pour contrer Trotski, puis de les éliminer plus tard). Or à la base, on sent que les choses sont plus dures à admettre. L’URSS est une idéocratie, l’idéologie, même sous une forme fruste, y est reine. Au début, le militant de base a du mal à comprendre l’exclusion de Trotski (le fondateur de l’armée rouge), puis les procès contre Kamenev, Zinoviev ou Boukharine. Mais l’organisation sert l’idéologie et le rêve et le militant relaie ce rêve. Alors on cherche, on déniche le traître, le déviant « droitier », le trotskiste, le fils ou le neveu de koulak. On pousse le militant jugé défaillant à l’autocritique. Car le pire est l’exclusion du parti, prélude à la mort sociale, au chômage.

Voilà un livre terrifiant sur l’univers soviétique…

 

Sylvain Bonnet

Nicolas Werth, Être communiste en URSS sous Staline, Gallimard, « folio histoire », octobre 2017, 352 pages, 7,70 euros

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