Rudolf Hess, l’ombre du Führer
Un historien immergé dans notre époque
Docteur en histoire, officier de réserve et ancien journaliste à La Croix et au Monde, auteur d’un livre d’entretiens avec Philippe Séguin, La force de convaincre (Payot, 1990), Pierre Servent s’est imposé comme un spécialiste des questions de défense et de stratégie. On lui doit des ouvrages comme Extension du domaine de la guerre (Robert Laffont, 2016) et Cinquante nuances de guerre (Perrin, 2018) où il analyse l’évolution de la guerre moderne. Il livre ici la biographie du disciple numéro un d’Hitler, Rudolf Hess, l’homme qui décida un jour de partir en avion chercher la paix en Grande-Bretagne…
Une personnalité paradoxale
Hess est un cas. Voilà un Allemand né en Égypte mais qui ne verra jamais le pays (ou si peu), soumis à l’autorité d’un père à l’ancienne. Hess a hérité du caractère rêveur de sa mère, de sa sensibilité aussi : d’avance, il refuse le destin tracé pour lui par son père (les affaires, la comptabilité) et s’engage dans l’armée dès la déclaration de guerre. Soldat courageux, blessé plusieurs fois, apprécié de ses camarades, Hess réussit in fine à intégrer l’aviation… Mais la guerre se termine avec l’armistice.
Le disciple préféré
Hess, comme beaucoup d’allemands, cherche sa voie : ce sera bientôt celle du nationalisme « volkïsch », avant Hitler. Sa rencontre avec lui change sa vie. Pierre Servent estime que Hess était un homosexuel qui ne pouvait sortir du placard (psychologique ?), soit. Il y a en tout cas une dimension amoureuse dans son rapport avec Hitler qu’il choisit de suivre en prison après le putsch raté de 1923. Il joue un rôle important lors de la rédaction de Mein Kampf. A sa sortie de prison, Hess se marie avec la candide Ilse, folle de lui, sur injonction d’Hitler. Jusqu’à la prise du pouvoir, il s’occupe d’Hitler et de certains problèmes (comme le suicide de sa nièce), chauffe les salles avant l’intervention du chef. Après 1933, Hess devient ministre sans portefeuille et participe à l’élaboration des lois de Nuremberg (même s’il protège certaines connaissances juives ou d’origine juive). Il est pour autant peu à peu marginalisé par d’autres, plus ambitieux et plus adroits comme Bormann…
Un saut dans l’inconnu qu’il paya cher
Hess ne voulait pas d’une guerre à l’Ouest et encore plus avec la Grande-Bretagne. Lié à des réseaux anglophiles, il se persuada qu’il avait une mission à remplir, rassuré aussi de certaines déclarations équivoques de son cher Hitler. Et le voilà parti en 1941 poursuivre une chimère qui sema le trouble à Londres, Berlin et Moscou : Staline, méfiant, redoutait une entente entre l’Angleterre et le Reich, un mois avant Barbarossa (mais cette peur durera). Mis au secret, Hess souffrira de son échec. A Nuremberg, son côté falot et illuminé éclatera et il finira condamné à la détention à vie. Était-ce mérité ? L’homme n’a pas participé à la solution finale, contrairement à un Speer qui a réussi à se dédouaner, mais il l’a préparé idéologiquement. Jamais il ne renia Hitler, le maître du chaos si on reprend la formule très juste de Pierre Servent. En tout cas voici un portrait saisissant d’un personnage qui ne s’imaginait pas autre chose que l’ombre de son grand homme.
Sylvain Bonnet
Pierre Servent, Rudolf Hess, Perrin « tempus », juin 2022, 672 pages, 11 euros