Famine rouge, Holodomor 1933
Journaliste et historienne américaine, Anne Applebaum est connue en France pour un livre, Goulag, une histoire (Grasset, 2005). Famine rouge, publié à l’origine chez Grasset en 2019, est consacré à ce qu’on appelle l’« Holodomor », c’est-à-dire la mort de plus de trois millions de personnes en 1932-33 en Ukraine, dans laquelle la responsabilité de Staline est immense. Un évènement qui en dit beaucoup sur l’époque actuelle et la guerre entre Ukraine et Russie.
Les origines d’une relation complexe et tragique
En lisant les premières pages de cet ouvrage, on prend conscience (et c’est un aveu de ma part) de l’identité parente mais distincte de l’Ukraine par rapport à la Russie. Cette dernière a toujours vu l’Ukraine comme une partie de son identité, niant sa la langue et sa culture. La Russie tsariste privilégiait la culture et la langue russe. La guerre civile marque un tournant et est marquée par la première indépendance ukrainienne… et du coup une méfiance des bolcheviks envers l’Ukraine et ses habitants, sans compter l’aversion de Lénine puis de Staline contre les paysans : trop conservateurs, trop égoïstes, trop arriérés, obsédés par leurs cultures et leur profits… Des Koulaks en puissance en somme. Après la fin de la NEP, les communistes persécutent les fameux Koulaks.
Et la famine arriva…
La famine de 1932-33 n’est pas due à un accident climatique. Si on suit l’ouvrage (et aussi d’autres chercheurs), la déportation des koulaks (des paysans riches) et la collectivisation désorganisa l’agriculture traditionnelle ukrainienne. Et puis il y eut les objectifs de la planification soviétique, irrationnels (et qui devaient permettre de dégager des fonds pour acheter des machines-outils pour industrialiser l’URSS), qui achevèrent la paysannerie. Et enfin il y a le rôle de Staline : l’homme voit les rapports, les courriers qu’on lui adresse… Et décide de ne rien faire, quitte à laisser mourir de faim les paysans, ignorant les rapports du parti communiste ukrainien (qui sera ensuite purgé). Mais il connait le nombre de morts (en les cachant au monde) et il encouragera l’immigration russe pour les remplacer… Malgré tout, la culture et la langue ukrainienne ont survécu, les témoignages de survivants se sont répandus.
Famine rouge est un ouvrage riche, dur parfois, qui explique un passé toujours présent dans les mémoires ukrainiennes.
Sylvain Bonnet
Anne Applebaum, Famine rouge, traduit de l’anglais par Aude de Saint-Loup & Pierre-Emmanuel Dauzat, Gallimard « folio histoire », octobre 2022, 736 pages, 13,80 euros