De Wagner à Hitler, du génie au dictateur
Une historienne du fait allemand
Issue de l’université Paris IV et après avoir travaillé au mémorial de la Shoah, Fanny Chassain-Pichon a rejoint l’université Paris Sciences et lettres et a travaillé sur l’édition de Lettres de la Wehrmacht (Perrin, 2014 ). De Wagner à Hitler, portrait en miroir d’une histoire allemande (ici le sous-titre est très important) constitue son premier ouvrage et on peut dire qu’elle a choisi un thème très risqué : la parenté entre Richard Wagner et Adolf Hitler pour expliquer la dérive de l’Allemagne.
Hitler, un « héros wagnérien » !
L’ouvrage propose une hypothèse provocante pour le grand public, tant celui des amateurs d’histoire que de musique classique : Wagner et son œuvre auraient fourni à Hitler un modèle à suivre. Lui-même se serait vu comme un héros wagnérien, un moderne Rienzi (le Heil Hitler ! dérivant du Heil Rienzi !). Notre historienne s’appuie ici sur des témoignages qui attestent de la passion d’Hitler pour la musique de Wagner (il ne ratait aucun de ses opéras à Linz et à Vienne) et du parallèle entre les textes antisémites du maître de Bayreuth et ceux du dictateur.
Fanny Chassain-Pichon souligne aussi la parenté sémantique de leurs discours, par exemple avec le terme d’anéantissement, « Vernichtung » en allemand, qui est employé par les deux hommes au sujet de la race juive. La continuité de discours est pour notre auteure une marque du « chemin particulier » suivi par l’Allemagne en Europe entre 1850 et 1950.
Une démonstration crédible mais pas nouvelle
Soyons clairs : le parallèle entre les deux hommes a déjà été fait. Les textes antisémites de Wagner sont connus, documentés et font partie d’un sinistre corpus dans lesquels le maître du IIIe Reich a puisé. Il faut cependant se garder de toute téléologie car Wagner, dont le génie musical est évident, n’annonce pas Hitler. Wagner est le produit d’une culture allemande, celle du XIXe siècle, marquée par les luttes pour l’unification. Son antisémitisme est d’abord nourri de ses frustrations et de sa rivalité avec Mendelssohn et Meyerbeer, ce dernier l’ayant aidé à ses débuts.
Par contre, son aura a fourni à Hitler une légitimité culturelle, renforcé par l’adhésion d’une partie de la famille Wagner. La passion d’Hitler pour le compositeur l’a nourri toute sa vie. Pour autant, ce parallèle laisse, l’ouvrage refermé, bien des questions en suspens sur la définition de ce « chemin particulier » suivi par l’Allemagne jusqu’à la Shoah et le désastre de 1945. Pourquoi nation et démocratie se sont à ce point séparés outre-Rhin ? Rappelons aussi la contingence des évènements : pas d’Hitler sans la défaite de 1918 et la crise de 1929 et ses cohortes de chômeurs…
Un ouvrage stimulant en tout cas qui ne doit pas empêcher d’écouter la chevauchée des Valkyries !
Sylvain Bonnet
Fanny Chassain-Pichon, De Wagner à Hitler, préface d’Edouard Husson, Passés composés, juin 2020, 304 pages, 22 eur