« Félix et la source invisible », le roman animiste d’Eric-Emmanuel Schmitt

Félix, prénom de la joie, vit avec sa mère Fatou à Belleville. Elle tient un café, le « Au boulot », où tout une petite vie de quartier s’est organisée, avec ses habitués qui sont autant de figures singulières et amusantes, comme Eric-Emmanuel Schmitt a l’habitude d’en peupler ses romans (1). Ceux qui accompagnent Félix et la source invisible ne sont pas des épiphénomènes, ils servent à construire toute l’humanité de Fatou.

Car Fatou, vue par les yeux de son fils mais aussi par ceux de ses habitués, est une femme exemplaire, bienveillante, disponible et chaleureuse. Mais quand se présente la bonne affaire d’acheter à vil prix le local voici, toute déraille, à cause de tracasseries administratives et notariales. Et Fatou déraille à son tour, d’abord elle compte tout comme s’il lui manquerait toujours quelque chose, puis elle nettoie tout, inondant le café sous les effluves de javel. Dernière étape de son mal : une catatonie que rien ne vaincre.

« Le monde se donne à qui le contemple »

L’oncle Bamba, appelé au secours par Félix, fait le tour des guérisseurs africains à Paris, mais en vain. Quelques scènes amusantes viennent alors marquer la crédulité des personnages, pris par leur envie aveugle de soigner Fatou, quand elle n’est pas malade. Seul le retour du père de Félix permettra d’entamer un retour à la source, au pays natal de Fatou, d’en comprendre son drame et sa renaissance.

Félix et la source invisible est une ode à la vie et au respect de ses ancêtres, de ses racines et de son lien particulier avec le monde. Quand le lien est rompu, alors seul le désordre règne. Schmitt ne professe pas le retour à l’Afrique, mais à faire coïncider son moi avec son environnement, pour atteindre à une belle harmonie où que l’on se trouve.

L’Afrique, c’est l’imagination sur Terre. L’Europe, c’est la son sur Terre. Tu ne connaîtras le bonheur qu’en important les qualités de l’une dans l’autre. »

Eric-Emmanuel Schmitt réussit un beau voyage, dans le cycle de ses romans sur les grandes pensées religieuses, sur l’animisme. Il montre combien il est important se s’ancrer au réel tellurique, même dans une aussi grande ville que Paris, pour y puiser la respiration du monde et, sur le modèle du poème O moi ! O la vie ! de Walt Wittman, dire en faisant enfin corps avec le monde : « Que le puissant spectacle se poursuit et que tu peux y apporter tes vers ».

Félix et la source invisible réjouira par sa simplicité apparente, son humour d’observations précises et précieuses, et l’espoir qu’il ouvre.

Loic Di Stefano

Eric-Emmanuel Schmitt, Félix et la source invisible, Albin Michel, janvier 2019, 226 pages, 17 eur

(1) Par exemple cet homme qui au fond du café apprend le dictionnaire par coeur et dans l’ordre alphabétique… tout comme l’autodidacte de La Nausée de Jean-Paul Sartre. Par exemple le café « Au boulot » qui a vraiment existé, à Caen, jusqu’en 2016, et à la gentillesse de qui nous devons l’illustration de notre article…

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