Les larmes du cochontruffe, au bout du conte
Un premier roman atypique
Voici le premier roman de Fernando A. Flores, Les Larmes du cochontruffe, publié dans la prestigieuse collection « La Noire », conçue pour accueillir des auteurs et des textes atypiques. Et ce roman est justement un texte déroutant, qui a été rejeté par certains aficionados du polar : on va vite comprendre pourquoi.
La vie et la mort
Bellacosa laissa son esprit vagabonder : Le problème vient de l’homme, pas de la maladie. Les hommes, on peut s’en dépêtrer. La maladie, elle, vous conduit entre les mains des docteurs, et alors c’est la fin. Les médecins ne sont que des tueurs d’un genre spécial. Moi et les hôpitaux, plus jamais. J’ai eu mon content de salles de soins quand ils m’ont pris ma fille, puis quand ils m’ont pris Lupita. Qu’elles reposent en paix. Lorsque mon heure sera venue, je partirai debout, je marcherai au milieu de la rue en plein soleil. Quelqu’un actionnera l’interrupteur divin et on n’en parlera plus.
Voici la ballade de Bellacosa, quelque part sur la frontière entre États-Unis et Mexique dans un futur proche. Il vit de trafics divers dans une région où les Cartels ont délaissé quelque peu le trafic de drogue pour faire leur miel avec des objets d’art indien. Et surtout il y les animaux, quasiment disparus à l’état naturel après une catastrophe écologique et recréés en laboratoire grâce une technique nommée « filtrage ». Grâce à elle, on peut ressusciter n’importe quelle espèce ayant vécu sur Terre. Et même des chimères : l’homme, selon certains, se prend maintenant pour Dieu. Avec le journaliste Paco Herbert, qu’il a accepté d’accompagner à un festin carné hors de prix, Bellacosa déguste des mets préparés avec soin et surtout découvre le cochontruffe :
Une langue baveuse émergeait de sa bouche, ou plutôt de son bec, semblable à celui d’une poule ou d’un coq. Sa peau vert foncé était pareille à celle d’un crocodile, avec des trainées ruisselantes qui luisaient comme une jolie paire de bottes. Quelqu’un lui avait attaché un foulard autour du cou, portant le symbole du Mouvement pour le désarmement frontalier.
Fasciné par cet animal, Bellacosa est loin de se douter de ses pouvoirs magiques. Au même moment, son frère Owaldo est torturé et envoûté et cherche l’aide de Bellacosa. Il se passe de drôles de choses dans le monde du cochontruffe, dont les yeux sont censés être le miroir où se reflète le cœur des hommes…
A la croisée des genres
Voici un roman qui commence comme un polar, dans un décor connu (la frontière du Rio Grande) et qui bifurque vers… autre chose. Certains passages sont carrément flippants, le climat général est malfaisant, inquiétant : on a l’impression de découvrir des hommes déjà morts, à l’instar de Bellacosa, homme dévasté par la perte de sa famille et qui attend finalement sa mort avec impatience. Quant au mélange des genres (polar, uchronie, fantastique), il peut agacer certains mais reconnaissons qu’ici le charme de ce conte hors normes opère.
Les Larmes du cochontruffe possède un charme vénéneux, à l’image de cet animal chimérique, pont entre le monde des vivants et celui des rêves. À découvrir.
Sylvain Bonnet
Fernando A. Flores, Les Larmes du cochontruffe, traduit de l’anglais par Paul Durant, Gallimard « La Noire », septembre 2020, 336 pages, 20 eur