Il était deux fois, le thriller bifrons de Franck Thilliez
Gabriel se réveille dans une chambre d’hôtel. Il est comme groggy. La veille, il s’est écroulé dans la chambre 29 sur des listings pour chercher la trace d’un témoin de l’enlèvement de sa fille Julie. Il est dans la chambre 7, habillé autrement, sans plus rien de son passé. Il a subis une amnésie terrible, et dans le miroir c’est un autre homme. Il a perdu douze ans de sa vie. Mais ce passé disparu va peut-être l’aider à remonter les fils de la vieille enquête qu’il menait avec son comparse Paul, deux gendarmes d’une modeste brigade de montagne (1). Ainsi commence Il était deux fois, où Franck Thilliez se montre particulièrement joueur.
Il était parfaitement réveillé, et cet homme dont il affrontait le regard, c’était lui.
L’enlèvement de Julie
Jeune fille de 17 ans, jolie blonde sportive, Julie était l’âme de Sagas. Depuis son enlèvement, plus rien ne va. Sa mère survit sous cachets. Son père a disparu. Sa meilleure amie n’est plus que l’ombre d’elle-même. Tout dans la ville bruisse de son histoire.
Son père, Gabriel, est le gendarme qui a mené l’enquête avec Paul. Des années à tout retourner, tout contrôler, tout espérer. Des années pour rien. Alors le retour de Gabriel, après son exil de la région, et après sa perte de mémoire, en fait comme un homme neuf. Et qui va replonger dans cette enquête avec un esprit neuf.
Le jeu de la mémoire
En douze ans, la vie a changé. Et Gabriel n’a pas laissé qu’un bon souvenir. C’était une boule de violence lancée à l’aveugle dans tous les sens qui percutait tout et tout le monde dans l’espoir d’un mince indice. L’enquête va donc être double : reprendre l’enquête de zéro et enquêter sur ce qu’il a pu faire pendant cette période oubliée de sa vie. Cette astuce narrative permet à Franck Thilliez de maintenir un suspens à son comble et d’offrir au lecteur une plongée dans l’enfer de son héros, avec lui, en même temps que lui…
Il était deux fois est un roman qui impressionne par la maîtrise du rythme, des jeux sur les mots (notamment le palindrome) et séduit par l’humanité de ses deux vieux enquêteurs, qui vont sacrifier tout ce qu’ils ont pour découvrir qui ils sont. Une vraie belle réussite, et qui offre aussi un sacré cadeau surprise à ses plus fidèles lecteurs !
Loïc Di Stefano
Franck Thilliez, Il était deux fois, Fleuve noir, juin 2020, 528 pages, 22,90 eur
(1) Hommage à la série Alex Hugo, que Franck Thilliez a co-créée avec Nicko Tackian. Les deux personnages du roman peuvent d’ailleurs très bien être incarnés par ceux de la série.
Il était deux fois prend une autre dimension quand le lecteur se rend compte que Franck Thilliez est en train de mettre un précédent roman au centre de son enquête. A partir de la première phrase énigmatique du Manuscrit inachevé (« Juste un mot en avant : un Xiphophore ») qui était en exergue du roman de Caleb Traskman, enchâssé dans l’autre, il renvoie son lecteur dans l’énigme précédente, la déploie, la magnifie ! Il est quasi certain que les deux livres ont été pensés ensemble, du moins l’intrigue basée sur le personnage de Caleb Traskman. Et en bonus, à la fin du d’Il était deux fois se trouve les pages manuscrites qui donnent la vraie fin du Manuscrit inachevé, de la main de Caleb et non de son fils.
Il était deux fois pose aussi une réflexion sur les limites de l’art. Partant d’une tradition d’artistes ayant eu un attrait pour le morbide (De Vinci, Le Caravage, etc.), Thilliez pousse les limites et propose un quatuor de monstres qui vont commettre l’acte surréaliste majeur : faire de la mort l’œuvre suprême. Cela dérange, écoeure, mais force à réfléchir sur une certaine déviance devenue de l’art parce qu’exposé. Quant à la fin, on pourra regretter qu’elle soit un peu rapide — un personnage sorti du chapeau — et que la monstruosité ne soit pas inédite, puisqu’on a pu lire déjà quelque chose de similaire dans La Piste aux étoiles de Nicolas Lebel… Thilliez se sert d’une figure de la plastination — le joueur d’échec de Gunther von Hagens — pour base de son roman, en mêlant très intelligemment sa propre histoire aux faits réels. Et ça, c’est une vraie belle réussite.