Frédéric Lansac cinéaste sous X
Connaissez-vous Frédéric Lansac ?
Il y a de fortes (mal)chances que non.
Si je vous dis qu’il s’agit du pseudonyme de Claude Mulot ?
Mais si : le réalisateur de C’est jeune et ça sait tout et du Jour se lève et les conneries commencent avec Jean Lefebvre ! Ainsi que de Profession : Aventuriers avec Nathalie Delon et André Pousse. Et le scénariste de Ils sont fous ces sorciers de Georges Lautner !
Eh bien pendant une quinzaine d’années, Mulot signa des films pornographiques sous le pseudo de Lansac ! Dont le célèbre Le sexe qui parle et le culte La femme-objet avec Marilyn Jess. Et, quand il ne réalisait pas, il fournissait des scénarios.
Du porno et du cinéma
Un livre se propose de reprendre par le détail l’intégralité de sa production porno. Un livre de spécialiste car l’auteur, Christian Valor, connaît très bien son sujet et peut établir des liens entre différentes productions.
Voici donc quatorze films passés au crible. Il ne s’agit pas tellement de parler des tournages mais des conditions dans lesquels ils ont vu le jour. Faire un bon porno nécessitait un certain doigté, si l’on peut dire, et quelqu’un comme Lansac/Mulot cherchait à proposer d’authentiques films, même classés X.
Les coulisses du X
Le véritable attrait du livre est de nous plonger dans les coulisses de ce style de cinéma qui rapporta beaucoup d’argent (y compris à l’État !) et fit se déplacer dans les salles obscures des millions de spectateurs (et sans doute de spectatrices). On a beau sourire benoitement aujourd’hui, se moquer avec pédanterie du « porno », il a bel et bien existé et doit être considéré comme un phénomène à part dans l’histoire du cinéma. Sans parler d’Emmanuelle et d’Histoire d’O, souvenons-nous des Jouisseuses (2 240 000 entrées), des Expériences sexuelles du Flossie (1 500 000), etc.
Par extension, il est aussi question dans ces pages des réactions des critiques « officiels » car quelques rares osèrent faire des notules sur ces œuvres que la décence ne saurait admettre mais qui attiraient du monde. Parallèlement, ce brave Giscard est présent. Sitôt élu président, il promit d’abolir la censure. Bravo Valéry. Deux ans plus tard, il établit la classification X et contraignit le porno à être « ghettoïsé ». Un homme politique dans toute sa splendeur…
Producteurs, réalisateurs, scénaristes et acteurs/actrices sont présents pour faire revivre cette époque où il fallait une vraie caméra et de vrais techniciens pour faire des films (même pornos !) et non un banal smartphone.
Une étude de genre
Il ne s’agit, donc, pas d’un livre racoleur mais d’une étude vivante et détaillée destinée à remettre en valeur un cinéaste important dans son domaine. D’après les témoignages, Lansac disposait d’une excellente réputation et n’était en rien partisan du travail à la chaîne. Il était au porno ce que le « One Two Two » et « le Chabanais » étaient aux bordels parisiens de la grande époque. Certes, il fréquentait un monde que l’on peut considérer comme « particulier » mais ne portait aucun jugement.
J’avoue ne pas être un spécialiste du X. Il me semble avoir vu Le sexe qui parle mais je n’en garde aucun souvenir (je confonds peut-être avec Gorge profonde !). Et lire ce livre ne m’a pas incité à visionner les autres œuvres de Lansac. Il n’empêche que le voyage dans les coulisses du porno reste intéressant et plein de surprises. Christian Valor est un bon guide qui sait tenir le cap sans jamais tomber ni dans le graveleux ni dans l’analyse universitaire.
Philippe Durant
Christian Valor, Frédéric Lansac cinéaste sous X, Nitrate, 207 pages, janvier 2021, 15 euros