L’empire islamique, VIIe-XIe siècle

Un historien face à un autre historien

Auteur de Brève histoire des empires (Seuil, 2014), Gabriel Martinez-Gros ne cesse livre après livre d’étudier l’histoire de l’empire islamique tout en se confrontant avec la pensée de Ibn Khaldûn, intellectuel arabe du XIVe siècle. Inconnu très longtemps en Occident et encore largement méconnu, que dit Ibn Khaldûn sur l’histoire de l’empire islamique ? Au cœur de sa pensée, il y a l’idée selon laquelle la sédentarisation est au cœur du phénomène impérial. Ce sont souvent des nomades qui « font » l’empire grâce aux revenus fiscaux générés par les masses sédentaires de paysans et de commerçants. Il en est ainsi de l’empire perse fondé par les Achéménides ou refondé par les Sassanides par exemple.

L’originalité de l’empire islamique

Ainsi pour l’islam c’est la possession de la Syrie et de l’Irak qui a assuré le succès, se coulant ainsi selon Gabriel Martinez-Gros dans le moule des anciens empires. Mais selon nos deux historiens, l’Islam diffère de ce modèle sur un point essentiel. Dans les civilisations précédentes, les cavaliers nomades investissent un territoire, fondent un empire mais adoptent la langue et la culture des pays soumis.

Les arabes font différemment en apportant une langue et une religion progressivement adoptés par les populations vaincues. Bien sûr, Gabriel Martinez-Gros nuance : l’arabe est devenu une langue grâce à des grammairiens persans. Et la philosophie grecque a été traduite en arabe et aurait pu, sous les Abassides, mener à une renaissance culturelle florissante, si les imams sunnites n’étaient alors intervenus.

La mesure du temps

Ibn Khaldûn structure l’histoire de l’empire islamique en cycles de 120 ans qu’il appelle « générations ». Or, il s’avère que son découpage s’adapte exactement à l’histoire de l’empire et à sa décomposition progressive, achevée au XIIIe siècle lors des invasions mongoles. On apprend aussi le chiisme, minoritaire aujourd’hui dans l’islam, fut la religion de l’empire : les Abassides, qui remplacent les Omeyyades, en sont issus par exemple, ainsi que les Fatimides qui dominèrent l’Egypte au Moyen-âge. Le sunnisme triomphe lorsque l’empire se désagrège et se transforme en « civilisation » islamique.

On est aussi frappés par la trajectoire différente de l’ « Occident musulman », incluant le Maghreb et Al-Andalus, où bédouins et nomades dominent très largement des sociétés bien moins « sédentarisées » qu’en Orient. 

Et notre monde ?

L’Empire islamique est un livre passionnant, qui inclut également des analyses du rôle joué par les turcs et les francs dans l’évolution de l’empire islamique. La conclusion aussi fascine. Pour Gabriel Martinez-Gros, la religion suit l’empire et la sédentarisation : il en fut ainsi de la variante sunnite de l’islam ou du christianisme qui survécut à la chute de l’empire romain. Or, notre monde a subi la plus grande vague de sédentarisation dans les deux derniers siècles : quelle forme prendra donc le retour attendu du religieux ?

Sylvain Bonnet

Gabriel Martinez-Gros, L’Empire islamique, Passés composés, septembre 2019, 334 pages, 23 eur

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