La Lettre au capitaine Brunner de Gabriel Matzneff

Gabriel Matzneff publie La Lettre au capitaine Brunner, son neuvième roman. Un livre plein de charmes nous baladant de Naples à Venise, entre péché et insouciance et portant un lourd secret. Il semblerait, — surtout avec les incidents récents —, que l’écrivain soit désormais interdit par deux cliques de dangereux imbéciles…

Or, je viens de terminer La Lettre au capitaine Brunner, — qu’il a eu la gentillesse de me faire parvenir, accompagné d’une belle dédicace. Je dois le dire, je connais Gab la rafale depuis déjà 10 ans, et subis depuis autant d’années, un nombre incroyable de quolibets, par une quantité incalculable de détracteurs, un peu forcenés. Ces mauvais lecteurs m’enquiquinent, pour le dire poliment. L’œuvre de Gabriel Matzneff est protéiforme, et il est possible d’y avoir accès par plusieurs entrées. Nombreuses seront les interprétations. L’homme à la ville est par ailleurs charmant, exquis. Et le style de l’auteur, vivifiant, roboratif et délicat. De plus, je n’aime pas les chasses à l’homme. Et encore moins les autodafés, quelles qu’en soient les raisons.

Alors, parlons plutôt du roman, ce sera plus sage ! D’autant que celui-ci est particulièrement réussi. L’avant-dernier, Voici venir le fiancée (2006) était de pure manufacture matznévienne. Qu’à cela ne tienne, La Lettre au capitaine Brunner persévère dans l’esprit, et continue son œuvre, avec toujours la même verve.

La Lettre au capitaine Brunner aurait dû initialement s’intituler La Lettre à l’Hauptsturmführer S.S. Brunner mais, tel que nous le dit l’auteur, dans sa préface, il a le sens des titres. Le moins que l’on puisse lui reconnaître c’est cette qualité en effet. Ainsi donc, si le titre demeure sobre, il est juste, puisque, dans le tragique, il substitue à l’hyperbole la litote.

La Lettre au capitaine Brunner est une excellente opportunité de retrouver les personnages de son précédent roman Nous n’irons plus au Luxembourg, ainsi que les thèmes chers à l’univers et l’art poétique de l’auteur : le petit sérail russe en exil à Paris, la foi orthodoxe, le soupçon vis-à-vis de la famille.

Le roman débute sur un suicide

Nil n’avait jamais cru que l’unique raison du suicide de son cousin Cyrille fût sa séparation d’avec Béatrice. »

S’ouvrant sur Nil Kolytcheff, s’interrogeant sur le suicide de son cousin, Cyrille Razvratcheff, s’étant jeté d’un haut d’une falaise de craie, à Dieppe, cinquante ans plus tôt, Nil est emporté dans une affaire de famille, dans laquelle il semble que le suicide soit monnaie courante. À noter également, que Cyrille vouait une passion pour le philosophe pessimiste Émile Cioran (que Gabriel Matzneff a bien connu) et ce désespoir aristocratique pour le monde et l’existence, ce dégoût profond de la naissance.

Voilà le héros de Gabriel Matzeneff, Nil Kolytcheff, lancé dans une enquête censée résoudre un mystère vieux de quarante ans. La mère de Nil ayant été déportée à Auschwitz, le père s’est lui-même suicidé à la Libération dans sa cellule de la prison de Fresnes, suite aux ennuis dus à ses liaisons dangereuses avec Alois Brunner, le chef du camp de Drancy, un des principaux acteurs dans l’épuration des juifs.

Avec élégance et allégresse, Gabriel Matzneff nous raconte une affaire de famille, mêlant au drame et l’aliénation familiale, la liberté de l’amour, le scepticisme de l’auteur face au mariage, les petites trahisons, les lettres de rupture, les amantes, les échecs amoureux, car ne l’oublions pas, Matzneff est surtout un écrivain qui célèbre l’amour, la liberté d’aimer, celle de Casanova et non pas celle de Don Juan.

Ainsi, au sein d’une intrigue empreint de gravité, se déroule une autre histoire, celle d’une liberté réussie, dans les relations amoureuses, source de réjouissances donnant à la vie son vrai sens. Et au milieu de tout cela, c’est l’occasion pour Gabriel Matzneff de peindre le petit sérail de Russes blancs émigrés, la communauté orthodoxe de Saint-Germain des Prés, mais aussi d’évoquer la foi et la théologie orthodoxe, montrant que Gabriel Matzneff n’a rien perdu de sa fougue d’antan, et que probablement même, il est à plus de 80 ans au sommet de son art.

Marc Alpozzo  

Gabriel Matzneff, La Lettre au capitaine Brunner, La Table Ronde, « Le Petit Vermillon », octobre 2019, 264 pages 7,30 eur

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