(Sic transit) GLORIA MUNDI, entretien avec Ariane Ascaride
Robert Guédiguian nous revient avec (Sic transit) GLORIA MUNDI, un film qui pose un regard sur une certaine société. Une famille devrait se réjouir de la venue d’un bébé, Gloria, mais est déchirée par l’incessante obligation de gagner de l’argent, de sortir la tête de l’eau. D’où une succession de drames qui, inexorablement, se muent en descente aux enfers… Guédiguian retrouve sa ville fétiche, Marseille, et sa troupe habituelle. Dont son épouse Ariane Ascaride qui incarne la mère de famille, chargée de gérer une petite meute qui se disperse dans la douleur…
ENTRETIEN AVEC ARIANE ASCARIDE
Vous avez eu une coupe à la Mostra de Venise pour votre interprétation dans Gloria Mundi, quel effet cela vous avait fait ?
D’abord la coupe est trop grosse et très lourde, on dirait une énorme coupe de foot ! Je l’ai mise sur mon buffet. Mon César est sur la cheminée et ma coupe sur le buffet ! Mais personne ne sait ce que c’est. Les gens qui viennent chez moi ne demandent même pas ce que c’est.
C’est quand une belle récompense, non ?
C’est très compliqué parce que ça m’a fait plaisir parce que c’était un prix en Italie. C’était un cadeau de la vie absolument extraordinaire puisque je bouclais la boucle : mes grands-parents ont pris le bateau pour fuir la misère italienne et moi, trois générations plus tard, je suis revenue pour aller chercher un prix dans ce pays. C’est un pays qui a beaucoup changé, il y a beaucoup de gens qui se noient dans la Méditerranée, donc j’ai dédié ce prix aux gens qui dorment pour l’éternité au fond de la Méditerranée. Si mes grands-parents n’avaient pas pu prendre un bateau, je ne sais pas où je serais !
Ils étaient partis d’où ?
Amalfi. Ils sont d’abord allés à New York ! Mais là-bas c’était très compliqué pour ma grand-mère, elle avait très peur. Donc ils ont repris le bateau et ils sont arrivés à Marseille dans cette Petite Italie où mon père a souffert d’être un rital, un macaroni. C’est pour ça qu’ils absolument voulu qu’on s’intègre, qu’on soit Français. Quand vous lui parliez en italien, il vous répondait en français. Il n’a jamais voulu nous apprendre l’italien. Je l’ai appris d’abord à l’école puis après en allant beaucoup en Italie, pays avec lequel j’avais un lien très fort. C’est le pays de mon cœur. Donc ce prix était symboliquement très fort pour moi… Après, j’ai eu une semaine très perturbée en me demandant « Comment ça se fait que j’ai ce prix ? »
Et quelle est votre réponse ?
J’y ai beaucoup réfléchi et je pense que quand vous êtes issu de milieux populaires, issu de l’immigration, il y a des métiers — en tout cas pour moi — où vous ressentez un sentiment d’illégitimité. Maintenant c’est réglé, ça va mieux.
Marseille est la ville de votre cœur ?
Marseille c’est la ville de ma naissance. C’est une ville forte qui vous marque. Ce n’est jamais innocent de naître à Marseille, même si vous la refusez totalement. C’est une ville qui est née du mélange. J’aime beaucoup cette ville qui est en train de devenir très à la mode. Ça me fait beaucoup rigoler. La vitrine, autour du port, est très jolie mais je vous conseille de venir dans le vrai Marseille, de venir voir les immeubles qui s’écroulent, les quartiers qui sont dans des états pas possibles. Le maire n’a jamais bougé. Je ne sais pas comment on peut vivre en sachant qu’on a des administrés qui sont morts parce que des immeubles se sont écroulés.
Comment est né ce film ?
On était partis avec Robert pour faire une comédie inspirée de l’embarquement pour Cythère. Mais la situation l’a mis en très en colère et il s’est dit que ce n’était pas le moment de faire une comédie. Il s’est vraiment arrêté d’un coup.
La situation en France ?
Oui. Elle est simple : vous avez tout le personnel médical dans la rue, vous avez des jeunes étudiants qui se font brûler, vous avez des jeunes qui défilent dans la rue pour que les vieux se rendent compte que la planète est en train de cramer, vous avez la SNCF, vous avez un personnel policier qui est exténué à qui on fait faire des choses épouvantables… On traite mal les gens… Une société où la Santé n’est pas prise en compte est en décomposition. Tout le monde se retrouve à l’hôpital à un moment de sa vie, bon dieu de bon dieu, donnez la possibilité aux médecins et aux infirmières de faire leur travail comme ils doivent le faire !
Le film fait-il uniquement référence à Marseille ?
Vous croyez vraiment que cela ne concerne que Marseille ? Vous savez bien que Robert aime situer ses films à Marseille mais, comme il le dit lui-même, cela pourrait se passer à Hambourg ou dans de nombreuses autres villes de France ou d’Europe. Seules les couleurs ne seraient pas les mêmes. Des bretelles d’autoroute avec des gens qui vivent en-dessous ou autour, il n’y en pas qu’à Marseille. La situation de ces gens qui sont en lutte de survie se passe partout.
Ne trouvez-vous pas que c’est un de ses films les plus pessimistes ?
Oui, bien sûr. Robert est comme un lanceur d’alertes. C’est un de ses films les plus pessimistes mais c’est aussi un de ses films les plus humanistes. Tous les personnages qu’il montre sont juste le produit du monde dans lequel nous vivons, un monde où les valeurs se sont dispersées. Les jeunes du film ont une trentaine d’années et ça fait trente ans qu’ils entendent « Devenez auto-entrepreneurs », « Devenez propriétaires », « Devenez patrons »… Ils sont le produit de cette époque et ils pensent que c’est ça la réalité, que c’est ça la vie.
Et votre personnage ?
Son truc c’est qu’il faut que ça tienne. Elle n’est que dans la survie. Elle est un peu opaque, elle ne dit pas grand-chose. Elle ne se dévoile qu’une fois quand elle dit « Je ne veux pas que ça recommence ». Pour moi c’est la louve de Rome. Elle doit tenir quitte à trahir ce qu’elle aurait fait vingt ans auparavant. La survie vous amène dans des comportements qui ne relèvent plus de la pensée mais de l’instinct. Elle n’est plus dans le discours mais dans l’action.
« [ce film] c’est certainement le symbole des gens qui s’épuisent à travailler »
Le travail est au cœur du film ?
Oui mais le travail n’est plus envisagé comme quelque chose qui peut vous épanouir, il est juste envisagé comme quelque chose qui vous apporte de l’argent pour ressembler au modèle qu’on vous impose. Tout est biaisé… Et puis aujourd’hui quand on est moins fort — je ne veux pas dire « faible » — cela devient très, très dur.
Ce film peut-il être considéré comme le symbole des gilets jaunes ?
Je ne pense pas que ce soit le symbole des gilets jaunes mais c’est certainement le symbole des gens qui s’épuisent à travailler. Tous ces gens que l’on croise dans la rue. On les croise mais on ne les voit pas.
Avez-vous connu des semaines difficiles à vos débuts ?
Oh, mais mon cher monsieur, j’ai connu des semaines très difficiles. Et ça a duré longtemps.
Que fait-on dans ces cas-là ?
On essaie de travailler, on gère, on se prive. Pendant longtemps je n’avais pas les sous pour aller au cinéma, pour aller boire un coup dans un café…
Et vous gardiez espoir ?
Oui, j’étais assez folle pour penser que je serai comédienne. C’est de l’inconscience ! Mais je me suis retrouvée à faire des choses en tant que comédienne où j’étais extrêmement malheureuse, mais ça me payait mon loyer.
Comment voyez-vous l’avenir de cette petite Gloria qui donne son titre au film ?
Je suis d’un naturel profondément pessimiste, c’est pour ça que je suis optimiste. Je me dis que cette petite Gloria va devoir se battre mais peut-être qu’elle va connaître quelque chose de merveilleux. Nous sommes dans un tel creux qu’il me parait difficile que l’on tombe plus bas. Ou alors on explose…
Propos recueillis par Philippe Durant
(sic transit) GLORIA MUNDI de Robert Guédiguian, avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Anaïs Demoustier, Robinson Stévenin, sortie en salles le 27 novembre, durée 1h47