Furiosa : une saga Mad Max – Avis sur la guerrière du désert
Arrachée à sa Terre Verte natale, Furiosa va devoir lutter pour s’extirper des griffes de Dementus et d’Immortan Joe. Un seul mot d’ordre survivre pour pouvoir se venger et retrouver les siens.
Pour beaucoup, le retour aux affaires de George Miller en 2015 injectait une bouffée d’air frais au cinéma populaire, emporté alors dans la ferveur super-héroïque du moment. Ainsi, l’engouement critique autour de Mad Max : Fury Road fut tel que bon nombre de spécialistes l’érigèrent en monument de la décennie en dépit de ses nombreux défauts. En effet, si on doit louer la maîtrise technique du réalisateur, on peut aussi pointer du doigt les quelques écueils qui jalonnent le long-métrage, à commencer par une écriture parfois erratique, des dialogues plus que fonctionnels, une caractérisation des personnages sommaire et surtout un recours systématique à l’esbroufe (que l’on reprochait à John Woo, comme quoi, deux poids, deux mesures).
Par conséquent, Mad Max : Fury Road se posait comme une simple relecture moderne du deuxième volet de la franchise, The Road Warrior, seul authentique monument de son auteur. Mais fort heureusement, regarder Fury Road aujourd’hui, procure toujours un certain plaisir même s’il ne se hisse pas au rang de chef-d’œuvre comme clamé haut et fort par ses admirateurs. Et le personnage de Furiosa, incarné par Charlize Theron, introduite dans cet épisode, ajoutait un cachet non négligeable à l’ensemble, puisqu’elle éclipserait presque le Max de Tom Hardy.
Voilà pourquoi Furiosa : une saga Mad Max, spin-off dédié aux origines de l’héroïne, suscitait de l’intérêt d’autant plus que l’interprète choisie pour endosser les traits de la future prétorienne n’est autre qu’ Anya Taylor-Joy, l’une des actrices phares de la nouvelle génération à Hollywood, aux côtés de Zendaya et de Florence Pugh. En outre, on s’interrogeait sur l’orientation générale qu’adopterait George Miller pour l’occasion, tant ce volet diffère de par sa nature, du reste de la licence, du moins sur le papier. Or si le fond diverge quelque peu, la forme reste intacte, avec ses forces, mais également ses faiblesses.
Violent George
En traitant du passé de la protagoniste, George Miller en profite pour revenir aux racines du genre post apocalyptique, que ce soit dans l’héritage laissé par son travail ou dans ses sources d’inspiration. Terre de brutalité et de désespoir, le monde de Mad Max, arpenté par des hordes de criminels de la pire espèce, a influencé d’autres films de ce type et même des mangakas comme le duo Buronson Tesuo Hara (derrière le fameux Hokuto no Ken).
On pourrait alors évoquer la boucle refermée puisque Mad Max doit beaucoup au Violent Jack de Go Nagai, manga paru dans les années soixante-dix dont les thématiques et l’esthétique se rapprochent des longs-métrages de George Miller. Et le cynisme, la violence, la facette crépusculaire, présents dans l’œuvre du Japonais, n’ont jamais autant rejailli dans la saga de l’Australien que dans ce Furiosa. Les trente premières minutes (sans doute les plus réussies en termes de narration) conduisent la jeune Furiosa dans les ténèbres dont elle a été préservée par les siens.
Durant ce laps de temps, le réalisateur relate la perte de son innocence, causée partiellement par une décision irréfléchie. Si le récit manque de subtilité dans le traitement initiatique, il gagne en revanche en âpreté lorsque Furiosa, témoin infortunée, assiste à moult massacres et numéros de torture. Par son point de vue, le public découvre davantage les dessous crasses d’un univers que l’on devinait en partie, mais qui étaient relativisés par les actes de générosité de Max. Ici, en pénétrant à l’intérieur des camps de Dementus puis d’Immortan Joe, le spectateur s’aperçoit qu’il n’existe aucune lumière, aucune issue de secours autre qu’une mort rapide, exigée par des démiurges fous. Et on éprouve, de fait, peu d’empathie pour les personnages, y compris pour une Furiosa avide de vengeance.
Ange vengeresse
Ainsi, jusqu’à présent, on approuvait le côté messianique des protagonistes de la saga de George Miller, à commencer par celui de Max, qui, en dépit de son air bourru et marqué par la perte de sa famille, continuait à maintenir une sorte d’équilibre et évitait, avec ses moyens, que son environnement sombre un peu plus dans le chaos. Se prendre d’affection pour lui se conformait à une certaine logique, contrairement à Furiosa, dont l’attitude amorale n’incite aucune compassion. Et si sa destinée tragique émeut au départ, sa mutation en ange de la mort solitaire et égocentrique fait d’elle la parfaite antithèse de Max.
Dans cette optique, Furiosa devient mutique par désir et non en raison des traumas qu’elle a subis, combat par intérêt et se complaît dans cette violence qui lui a tant coûté. La démonstration de George Miller manque alors d’élégance et on aurait apprécié un regard un peu moins appuyé pour explorer la lente transformation du personnage, son éveil aux sentiments et son aspiration à un avenir meilleur, pour elle et pour les opprimées qu’elle délivrera dans Fury Road. Heureusement, la prestation d’Anya Taylor-Joy et de Tom Burke convainc suffisamment pour que le véritable dessein du réalisateur se dévoile avec perte et fracas, à l’image des motos et camions déchiquetés dans les luttes incessantes.
La femme qui tuera Immortan Joe
Et c’est au détour d’une réplique de Chris Hemsworth (à la fois grotesque et presque génial dans le rôle de Dementus) que George Miller dévoile son intention, il faut l’avouer, fort périlleuse, celle de construire un mythe autour de son héroïne, passer d’une chanson de geste à une épopée digne des demi-dieux chers à Richard Wagner. Or, dans cette tentative, il rejoint quelques noms illustres ou un poil prestigieux, John Ford avec L’Homme qui tua Liberty Valance, Clint Eastwood avec Mémoires de nos pères ou encore Ang Lee avec L’Odyssée de Pi, mais n’égale hélas en rien leurs essais.
Avec Furiosa, le metteur en scène s’efforce tant bien que mal de façonner une légende brut de décoffrage sans interroger sur son importance ni apporter quelques touches de nuance qui contrebalanceraient l’effigie invulnérable, instillant si ce n’est une once d’humanité, un brin de crédibilité. Super-héroïne malgré elle, Furiosa avance, ignore la douleur et abat ses ennemis sans jamais défaillir. En la présentant de la sorte, George Miller ne comprend pas les raisons qui ont poussé les plus grands à réfléchir sur le principe du mythe.
Il préfère plutôt déclamer la leçon de Joseph Campbell sans le moindre recul. John Ford lui expliquait les mécaniques et les causes de l’élaboration d’un mythe, Clint Eastwood ses conséquences, Ang Lee pourquoi on devait préférer une bonne fois pour toutes la légende à la réalité. Or, même si nulle beauté dans l’œuvre de Miller ne justifierait d’opter pour la fable, cela ne l’empêchait pas de développer son dispositif comme ceux qui se sont frottés à l’exercice avant lui.
On the road again
Ne reste donc au cinéaste qu’à parcourir de nouveau les routes de la Désolation, au son des moteurs vrombissants, en inoculant suffisamment de sauvagerie pour extirper n’importe qui de sa torpeur. Et s’il affiche encore une fois un indéniable savoir-faire technique lorsqu’il se concentre sur les joutes homériques de ses personnages, il s’adonne quelquefois à une légère fainéantise en recyclant quelques séquences et idées. Un point déplorable compensé par l’énergie déployée par Anya Taylor-Joy qui ne démérite jamais dans ces moments tonitruants.
George Miller possède un solide sens du spectacle et ne se gêne jamais pour le mettre en pratique, une manière comme une autre de dissimuler les lacunes identiques à celles disséminées dans Fury Road. La qualité sommaire des dialogues (leur pauvreté, argueront les mauvaises langues) et des protagonistes réduits à une expression simplissime sont encore au rendez-vous. Surtout, le ton employé prête à confusion. Furiosa, sous des airs de farce noire, avec un humour presque forcé, vire au comique pathétique qui s’assortirait avec les pires films de super-héros de ces dernières années. Quant à l’aspect dramatique, il s’amenuise au fur et à mesure que le mythe prend le pas sur toutes les autres thématiques et perd de fait de sa force.
Bien moins abouti que Mad Max : Fury Road, ce malgré son ambition démesurée, Furiosa : une saga Mad Max remplit néanmoins sa part du contrat, avec efficacité, mais sans briller. Dans une période durant laquelle on regrette le manque de créativité, on est prêt à pardonner tant d’aspérités si bien que l’on se contente du minimum et que ce peu se mute en satisfaction générale. Triste et inquiétant.
François Verstraete
Film américain de George Miller avec Anya Taylor-Joy, Chris Hemsworth, Tom Burke. Durée 2h28. Sortie le 22 mai 2024