Une bonne tasse de thé et autres textes de George Orwell

De 1922 à 1927, soit de l’âge dix-neuf à vingt-quatre ans, George Orwell fut policier dans l’Inde coloniale. Sa conclusion : « Le fonctionnaire maintient le Birman à terre pendant que l’homme d’affaires lui fait les poches. » Le fonctionnaire, c’était lui… Il démissionne, et décide de devenir écrivain. Un écrivain besogneux, souvent impécunieux, et de santé fragile. Il travailla longtemps avant que ses publications trouvent un accueil. De retour de la guerre d’Espagne où il avait combattu aux côtés du POUM (parti communiste antistalinien), il publie Hommage à la Catalogne en avril 1938. La ferme des animaux paraîtra en 1945, et 1984 en 1949, un an avant sa mort.

Orwell consensuel ?

C’est pendant cette période qu’il écrit les articles rassemblés dans Une bonne tasse de thé. à cette époque, il tire ses revenus du journalisme. L’éditeur présente cet ensemble sous un jour quelque peu lénifiant : « ces pages résonnent comme un appel à défendre une éthique, une culture et des valeurs bafouées par le culte et la pratique nationaliste de la pensée unique », est-il annoncé dans le « prière d’insérer ». Voilà de quoi contenter tout le monde : il n’est pas précisé de quelle pensée unique il s’agit, et l’appel à une éthique et des valeurs qui restent indéfinis permet sans doute de parvenir à un unanimisme mou… ce qui ne reflète en rien la position d’Orwell telle qu’elle apparait dans ces articles : pendant ces années de guerre de 1939-45, s’il fut patriote il resta révolutionnaire, cherchant une troisième voie entre le stalinisme et le capitalisme. Le choix du titre, qui est celui de l’un des articles recensés, procède de la même intention. Parmi les autres titres on aurait pu choisir : Comment meurent les pauvres, ou bien Les écrivains et le Léviathan, ou encore Quelques pensées sur le crapaud. Ceux-là sont sans aucun doute moins consensuels, et donc impropres à favoriser le commerce.

Un guérillero intempestif

Décrivant les horreurs d’un hôpital parisien où l’auteur séjourna en 1929, pour son malheur, l’article Comment meurent les pauvres fait écho à son livre Dans la dèche à Paris et à Londres paru en 1933. Dans son article L’esprit sportif, il estime que, pétri de l’esprit de concurrence, « le sport est franchement un simulacre de guerre ». Il ajoute :

Il y a déjà bien assez de causes réelles de tension sans que nous ayons besoin d’en ajouter en encourageant des jeunes gens à se flanquer des coups de pieds dans les tibias sous les clameurs d’un public en furie.

Vive les jeux olympiques ? 

Dans Quelques pensées sur le crapaud comme dans Les lieux de loisir, il s’insurge contre la civilisation des machines qui nous contrait à nous ébattre dans un monde artificiel, fait d’artifices coûteux, et donc réservé aux gens « de bien(s) » ; alors que « le chant d’un merle, le jaune d’un orme en octobre […] ne coûte rien et ne relève d’aucune approche de classe ». Célébrant le plaisir pris au spectacle des processus vitaux que nous offre la nature, il manifeste dès cette époque une sensibilité écologique.

Enfin, dans quatre des onze articles, il caricature le travail de tâcheron du critique littéraire (et pour cause : il connaît bien !), démontre que, contrairement à l’opinion établie, la lecture des livres ne coûte pas plus cher que la fumée des cigarettes, évoque son travail dans une librairie…

Dans Les écrivains et le Léviathan, il expose sa vision de l’engagement en littérature. Il estime que l’ampleur de la misère et de l’injustice empêche l’écrivain d’adopter une attitude purement esthétique, ce ne serait pas sa tasse de thé ! Sans que pour autant il fasse d’un parti politique le maître dont il serait la voix :

Rien ne l’empêche de tenir le langage politique le plus cru si bon lui semble. Seulement il doit le faire en tant qu’individu, en tant qu’outsider, tout au plus comme un guérillero intempestif sur les flancs d’une armée régulière.

Voilà qui me paraît roboratif !

Mathias Lair

George Orwell, Une bonne tasse de thé et autres textes, traduit de l’anglais et préface de Nicolas Waquet, Rivages poche, janvier 2024, 136 pages, 8 euros

Laisser un commentaire