Tovaangar, dans la jungle de Céline Minard
La première impression, en ouvrant Tovaangar, est de retrouver une fraîcheur passée, celle de nos lectures de jeunesse où l’on se contentait des facilités de bien des ouvrages de science-fiction ; et des plaisirs faisant suite à ceux éprouvés aux contes de la petite enfance. Voilà à quoi nous renvoie ce roman : sous prétexte de nous propulser dans un monde à venir il nous proposerait un retour à l’enfance.
Une régression imaginaire
L’héroïne, Amaryllis est une Auboisière. Elle part en expédition dans une région inconnue : une manière de forêt où subsistent des ruines qui datent sans doute de notre vilaine époque. Elle va y croiser toutes sortes d’étranges individus : des Créates, préposés à l’entretien des ruines, des Extracts qui, comme leur nom l’indique, extraient l’énergie des éléments, des Gros-cerveaux, bipèdes à fourrure de culture cavernicole, des oiseaux de chasse appelés Hawk, des Tongva, des Arcadéans, des Racoon, des Kairs…

Dans les premières pages on s’amuse aux découvertes d’Ama, puis s’installe un même procédé littéraire se répétant telle une litanie, donnant le sentiment que ces découvertes ne renvoient à rien (et non pas à la « fable philosophique et écologique sur le réenchantement du monde » qu’a tenu à y voir l’attachée de presse du livre…), elles n’ont pour le lecteur guère de sens. Au lieu d’une narration, on assiste à un empilement de descriptions qui finissent par procurer un sentiment de satiété…. qui ne fera que s’agacer au cours des six-cent- quatre-vingt pages du livre.
Au final, on a le sentiment que le roman est une manière de transposition littéraire de ces BD simplistes dont on abreuve nos pauvres enfants, dont la recette serait : une ligne claire, de l’innocence (tous les personnages sont bien sûr asexués), une drôlerie légère, un imaginaire gratuit. Soit l’exact opposé des contes qui ont marqué notre enfance, tous emprunts d’une trame dramatique source de délicieuses épouvantes, faisant appel à la crudité de nos instincts, et chargés d’une symbolique.
Il existe pourtant des imaginaires contemporains, exactement fabuleux, qui échappent à cette édulcoration. J’évoquerai par exemple Les jardins statutaires, le premier livre du Cycle des Contrées de Jacques Abeille, qui ne comprend pas moins de neuf romans. Avis aux fervents de l’imaginaire !
Un signe des temps ?
Au regard de l’univers des contes, ce roman parait cool et bien-pensant, très « feel good ». Est-ce la raison du succès de Céline Minard ?
Cet auteur a rencontré un bel accueil parmi les critiques. Certains d’entre eux n’hésitent pas à invoquer comme références Kafka, Boulgakov, Malraux, Nabokov et même Pierre Guyotat, au risque de le faire se lever de sa tombe !Minard préfère se référer à Arno Schmidt, qui est un magnifique auteur, un des plus grands du XXème siècle selon moi, bien qu’il n’ait jamais été tenté par la littérature de l’imaginaire.
Je ne résiste pas au plaisir ironique de faire cette citation d’un des admirateurs de Céline Minard : « le récit formule une manière, récit et énoncé métapoétique sont indissociables, depuis le « trou dans la réalité » surgit la danse du chaos et une prose virevoltante sur l’abîme » écrit Christine Marcandier. Pour Fabrice Gabriel, « nous ne savons pas exactement où nous sommes, dans cet imaginaire extraterrestre ». En effet. S’agirait-il d’un « roman-manifeste ? », de « variations écologistes déguisées en récit futuriste ? » On s’interroge… Pour un autre critique, l’auteur « réussit à susciter la simple nostalgie » : celle d’une soi-disant innocence enfantine ?
Qu’en dit l’auteure ?
Interviewée par Caroline Dumoucel dans le magazine « Vice »(prononcez vaïss), voici ce nous en dit l’auteure : « j’écris des dichtung, un terme qui désigne un univers imaginaire, construit et clos sur lui-même – donc un peu comme la monade – qui n’est pas l’opposé du monde sensible mais son condensé ». Le mot Dichtung renvoie au philosophe allemand Heidegger, qui désignait ainsi la « parole primordiale » qui ouvre à la fois sur la Poésie et la Pensée… C’est dire l’ambition de Céline Minard !
Céline Minard se dit être par ailleurs une auteure de combat :
« Il ne faut pas laisser les marchands, les publicitaires, les politiques s’emparer de la fiction et l’instrumentaliser, mais je pense qu’il ne faut pas non plus laisser faire ceux qui voudraient éliminer la fiction parce que justement les politiques, les marchands, les publicitaires s’en servent ».
Il semble que par le terme de « fiction », Céline Minard entend le genre de la science-fiction, alors que ce qui différencie tout roman, n’importe quel roman d’un documentaire, c’est justement la fiction !
Selon elle la science-fiction serait en danger, on se demande pourquoi :
« Je n’aime pas beaucoup l’esprit de sérieux. Je crois qu’au contraire, si on veut être un écrivain sérieux, un vrai écrivain, il faut faire de la fiction, et pas autre chose ».
Hors la science-fiction, point de salut ?
Mathias Lair
Céline Minard, Tovaangar, Rivages¸ août 2025, 688 pages, 23,50 euros
