Gérard Oury – Mon père, l’as des as

Son père, ce héros aux fous rires si fous…

Aujourd’hui elle-même scénariste et réalisatrice, Danièle Thompson rend hommage à son père, qui fut aussi son mentor. L’ouvrage qu’elle lui consacre, intitulé Gérard Oury – Mon père, l’as des as, permet de voir que la carrière d’Oury ne saurait être assimilée à une grande vadrouille et qu’on distingue aisément des lignes de force dans l’ensemble de ses comédies.  

S’il existait depuis longtemps plusieurs ouvrages consacrés à Bourvil et à Louis de Funès, la situation était curieusement tout autre pour l’homme qui fut l’artisan de leurs plus grands succès, Gérard Oury. Oury avait lui-même publié deux volumes de mémoires, et tel ou tel de ses films avait pu faire l’objet d’un livre, mais aucune véritable étude sur Oury et sur l’ensemble de ses films n’était parue à ce jour. (N’oublions pas que nous sommes en France, pays où un réalisateur populaire ne saurait mériter l’attention de quelque noble commentateur.)

La lacune est enfin comblée grâce à sa fille, Danièle Thompson, qui, assistée du journaliste Jean-Pierre Lavoignat, vient de publier un volume qui, après une assez courte introduction biographique, fait défiler film après film la carrière du réalisateur. Quelques témoignages extérieurs viennent ponctuer l’ensemble, par exemple celui de Dany Boon, qui osa, avec ses Chtis, déloger La Grande Vadrouille de sa première place au box-office du cinéma français. L’ensemble est, suivant la formule consacrée, richement illustré.

© La Martinière / Gaumont

Le titre, Gérard Oury – Mon père, l’as des as, risque de produire chez le lecteur une attente qui débouchera sur une frustration. Cette collaboration entre un père et une fille est un cas de figure plutôt rare dans le monde du cinéma, pour ne pas dire exceptionnel, et l’on aimerait bien avoir des détails sur la manière dont fonctionnait ce tandem – d’autant plus que Danièle Thompson, devenue aujourd’hui réalisatrice, l’a reproduit avec son propre fils, Christopher —, mais la question est ici à peine esquissée. On apprend simplement que, dès son plus jeune âge, Danièle ne cessait de croiser dans la maison des messieurs discutant scénarios avec son père, qu’on lui demandait parfois son avis sur tel ou tel point, qu’elle a commencé à mettre sérieusement son grain de sel dans l’élaboration du Corniaud (sans être mentionnée pour autant au générique) et qu’elle est devenue collaboratrice officielle de son père lorsque Marcel Jullian, longtemps complice de celui-ci mais un peu las de devoir jouer les Pénélope de film en film (puisque la construction d’un scénario avec Oury prenait toujours plusieurs mois), s’en alla pour fonder sa maison d’édition. Mais c’est à peu près tout. D’ailleurs, Danièle Thompson dit toujours « Gérard » quand elle parle de son père, oubliant les rapports de parenté pour ne s’attacher, en apparence tout au moins, qu’au lien professionnel.

On trouvera cependant, au fil des pages, quelques anecdotes qui valent leur pesant de caramel mou. Hommage soit rendu à l’admirable intuition de Louis Chauvet, critique cinématographique du Figaro, qui, lorsque sortit La Main chaude, décréta et écrivit que ce premier film de Gérard Oury serait aussi son dernier (mais il est vrai que Les Cahiers du Cinéma livrèrent à peu près à la même époque la même prophétie pour Lelouch…). Saluons, sérieusement cette fois, le bon goût cinématographique du douanier qui, à Oury qui le priait de ne voir dans le comportement désagréable de Coluche qu’un caprice de star, répondit qu’il préférait de beaucoup aller voir au cinéma les films de Wim Wenders. Et citons enfin un fait peu connu, mais essentiel : Oury osa aller trouver lui-même Leni Riefenstahl pour lui demander s’il pouvait lui emprunter certains plans pour les inclure dans le film qu’il s’apprêtait à tourner et qui n’était autre que L’As des as. Incroyable retournement de l’Histoire, Frau Leni, malgré son passé sportif d’hitlérophile, accepta. Oury, allez savoir comment, avait dû réussir à la persuader que tous les hommes sont frères.

Peut-être avait-il l’avantage de sentir en lui, plus facilement qu’autrui, cette vérité élémentaire, dans la mesure où son arbre généalogique était quelque peu confus. Si confus d’ailleurs qu’on peut se demander si ce n’est pas là qu’il convient de trouver l’une des raisons pour lesquelles il mit un certain temps à reconnaître cette fille Danièle qui allait pourtant devenir sa plus fidèle collaboratrice et qui lui rend hommage aujourd’hui à travers ce livre. Peut-être est-ce là, dans le flou initial de leurs origines, que réside le secret de leur complicité professionnelle. L’un et l’autre auraient pu se sentir exclus, devenir amers ou misanthropes. Il est tout à leur honneur d’avoir choisi l’option inverse, celle qui consiste à considérer l’humanité comme une grande famille, comme un grand tout, à construire des films sur des duos (Le Corniaud, La Grande Vadrouille, Lévy et Goliath…), des quatuors (Bourvil, Belmondo, David Niven et Eli Wallach dans Le Cerveau), voire des chœurs entiers (Fauteuils d’orchestre, par exemple, pour Danièle Thompson).

© La Martinière / Gaumont

C’est pourquoi il nous semble que la plus fameuse réplique des Aventures de Rabbi Jacob, « Comment, Salomon, vous êtes juif ? » ne tire sa force comique que du fait qu’elle n’est pas forcément drôle. Oui, il peut y avoir, dans le grand maelstrom de l’humanité, des Salomon qui ne sont pas juifs. Il suffit pour cela, comme une autre réplique du film le suggère, de changer légèrement le vocalisme de leur nom et de les rebaptiser Slimane. Cette métaphore linguistique était déjà donnée dans Le Corniaud sous sa forme topographique, dans la scène de la station-service où Bourvil et de Funès communiquent à travers les téléphones de leurs voitures respectives : ils pensent être séparés l’un de l’autre par des centaines de kilomètres, alors qu’ils se touchent presque.

Évidemment, tout cela n’était pas du goût des Cahiers qui, trouvant que Libé consacrait trop de place à l’œuvre d’Oury, exigèrent ce qu’ils estimaient être un « droit de réponse », où ils crachèrent tout leur mépris à l’égard de ce Rabbi Jacob qui se contentait de retourner le schéma habituel. Le schéma habituel, selon les Cahiers, c’était : « Vous dites que vous n’êtes pas raciste, mais nous savons bien, nous, qu’au fond de vous, viscéralement, vous l’êtes. » Le schéma Oury, c’était effectivement l’inverse : « Vous croyez être raciste, mais c’est parce que vous ne vous connaissez pas vous-même. Au fond de vous, regardez bien : vous n’êtes pas raciste. »

On nous permettra de voir dans Gérard Oury le vrai descendant de Socrate.

FAL

Danièle Thompson (avec la collaboration de Jean-Pierre Lavoignat), Gérard Oury – Mon père, l’as des as. La Martinière, mai 2019. 29,90 eur

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