Au P’tit Zouave, de Gilles Grangier, et Cinq Tulipes rouges, de Jean Stelli
La défense et illustration de l’œuvre de Gilles Grangier entamée par Pathé avec l’édition d’Échec au porteur et de Trois jours à vivre se poursuit avec la sortie en DVD/B-r d’Au P’tit Zouave, tourné en 1949. Mais il n’est pas sûr que, même s’il n’est pas dénué de charme, ce film soit du même calibre que les précédents, qui se distinguaient par la solidité de leur scénario. L’action ici se passe presque exclusivement dans un café parisien, mais peut-on vraiment parler d’action ? Certes, nous ne sommes pas exactement en face d’un huis clos puisque des gens, constamment, rentrent et sortent, mais l’ensemble est en gros ce qu’on appelle une « chronique » ou, pour dire les choses autrement, une série de portraits : le patron du bistrot, qui ne se contente pas de servir des consommations à ses clients, mais est aussi receleur sur les bords ; la prostituée de service ; la jeune fille innocente ; un vieux monsieur ; des policiers bien sûr… Les cinéphiles d’un certain âge auront évidemment beaucoup de plaisir à retrouver diverses figures attachées à toute une époque du cinéma français : Dany Robin, Jacques Morel, Paul Frankeur, Paul Azaïs, Robert Dalban, François Périer… Autant de seconds rôles qui n’étaient pas loin d’être aussi marquants que les premiers. Mais, encore une fois, ce défilé ne fait pas une histoire, et le changement de ton que le scénario entend introduire en faisant planer alentour l’ombre d’un assassin de vieilles dames serait convaincant si l’assassin en question n’était pas très vite identifiable.
Plus intéressant est un autre film, édité lui aussi chez Pathé, datant à peu près de la même époque (1948) et construit sur un schéma voisin : Cinq Tulipes rouges. Là encore, c’est l’exploration d’un milieu avec un tueur (qui signe ses meurtres avec les fleurs du titre), mais le milieu, ici, est celui du Tour de France – c’est d’ailleurs le vrai Tour 1948 qui a été utilisé comme décor. Autant dire, donc, que le mouvement ne manque pas et que le suspense est double : il y a bien sûr l’intrigue policière, mais aussi la compétition sportive qui se poursuit jusqu’au bout malgré le modus operandi du criminel, qui consiste le plus souvent à saboter les vélos des coureurs.
Avouerons-nous que le nom du réalisateur de cette comédie policière co-écrite et dialoguée par Charles Exbrayat (auteur chéri de la collection Le Masque) nous était parfaitement inconnu ? Jean Stelli. Mais la page Wiki d’icelui nous apprend qu’il avait tourné une bonne trentaine de films, dont, déjà en 1939, une comédie, Pour un maillot jaune, ayant le Tour pour décor, et surtout qu’il avait, avant de devenir réalisateur à part entière, été à bonne école en étant l’assistant de Julien Duvivier. Il n’est pas interdit de voir dans ces Cinq Tulipes rouges, peuplées elles aussi de grands seconds rôles du cinéma français d’après-guerre – Pierre-Louis, Annette Poivre, Raymond Bussières, René Dary –, l’ancêtre de la série Les Cinq Dernières Minutes. Mais cette référence est-elle encore une référence pour les fans de Game of Thrones ?
FAL
Au P’tit Zouave. Un film de Gilles Grangier. Musique : Vincent Scotto. Avec François Périer, Dany Robin, Marie Daëms, Jacques Morel, Alice Field, Yves Deniaud, Paul Frankeur… N/B. 110 min. DVD/B-r Pathé.
Cinq Tulipes rouges. Un film de Jean Stelli. Scénario et dialogues : Charles Exbrayat et Marcel Rivet. Avec Jean Brochard, Pierre-Louis, Annette Poivre, Raymond Bussières, René Dary… N/B. 97 min. DVD/B-r Pathé.