Pasolini, l’audace du créateur
Je ne pense pas qu’il soit utile de rappeler l’importance de Pier Paolo Pasolini pour le cinéma italien et, par extension, pour l’ensemble du cinéma. Un cinéaste audacieux, inventif, dont les œuvres ne cessent pas de surprendre voire de dérouter. Ce faisant, on oublie un peu trop souvent qu’il faut aussi un romancier et un poète dont les textes sont au moins aussi importants que les réalisations cinématographiques.
Il n’est pas simple de résumer une vie aussi foisonnante ni de restituer une personnalité aussi riche. René de Ceccatty y est parvenu. Il faut préciser — non pour le diminuer mais, au contraire, pour le situer — que ce spécialiste de la culture italienne est passionné par le sujet depuis longtemps. Cette biographie, qui paraît au format poche, est une réédition complétée.
une biographie intelligente et claire
Ceccatty a tout vu, tout lu, tout étudié et de ces montagnes de documentation, il extirpe des éléments clefs permettant de mieux comprendre Paolo. Il n’est pas forcément obligatoire de bien connaître les travaux de Pasolini pour apprécier cette biographie. Je dirais presque « au contraire ». Car l’ouvrage est suffisamment clair pour qu’on suive le parcours avec intérêt et attention. Scandales et procès sont au rendez-vous mais jamais sous un côté voyeuriste. Au contraire, ils éclairent les œuvres sous un jour différent, démontrant une fois de plus que les audaces sont toujours freinées par les pisse-vinaigre.
Le livre se termine sur un chapitre indispensable concernant la mort de Pasolini. On sait qu’il fut assassiné mais dans des circonstances confuses. L’idée la plus courante est qu’il s’est fait trucider par un jeune gigolo auprès duquel il se serait montré un peu trop pressant. Idée suspecte quand on connaît la véritable personnalité de Paolo. D’autres pistes ont été explorées, jusqu’au complot, et Ceccatty prend soin de les présenter, avec leurs qualités et leurs défauts. La conclusion est qu’on ne saura jamais, étant donné que les principaux témoins sont passés de vie à trépas. Mais cette mort, pour horrible qu’elle soit, est aussi un symbole. Non le symbole d’un martyr — Pasolini n’avait rien d’un Jésus — mais le symbole d’une audace qu’il fallait stopper d’une manière ou d’une autre.
Paolo était proche d’Icare mais son destin était, sans doute, scellé depuis des lustres.
Voici, donc, une découverte (ou redécouverte pour les rares initiés) de ce Pasolini dont on fête le centenaire de la naissance le 5 mars 2022. Un anniversaire un peu déroutant car il est évident que Paolo n’était pas fait pour atteindre l’âge respectable de 100 ans. Il restera à jamais dans l’imaginaire un homme plein de vie, de trouvailles, d’inventions et de culot. La liberté coûte cher, surtout quand on la monnaye avec des pièces d’art.
Philippe Durant
René de Ceccatty, Pasolini, Gallimard, « Folio », février 2020, 320 pages, 9,80 eur