Gran Turismo, sortie de route pour PlayStation

Sans véritable perspective, Jann désespère son père, ancien footballeur professionnel. Pour le jeune homme, seule compte sa passion pour le simulateur vidéoludique Gran Turismo et pour la course automobile. Sa vie va être pourtant bouleversée lorsqu’il remporte un tournoi organisé par Nissan, destiné aux meilleurs pratiquants de Gran Turismo. Jann va pouvoir réaliser son rêve et embrasser une carrière en tant que pilote pour l’écurie japonaise.

Jusqu’à aujourd’hui, les adaptations vidéoludiques sur grand écran en termes de live action n’ont pas été à la hauteur, ce quelque soient les licences et les budgets alloués. En effet, les transpositions de Street Fighter, Mortal Kombat, Super Mario ou encore Tomb Raider n’ont pas laissé une empreinte indélébile dans les mémoires cinéphiliques. Et voilà que Sony et sa toute puissante marque PlayStation s’essaient à leur tour dans ce délicat exercice en mettant sur le devant de la scène la franchise phare « Gran Turismo ».

Une entreprise surprenante lorsque l’on sait que le jeu est dépourvu du moindre scénario… mais fort heureusement pour la firme japonaise, il lui suffisait de faire reposer son long-métrage sur l’histoire vraie d’un fan assidu de leur produit devenu par un énorme concours de circonstances, pilote professionnel. Ce beau conte de fées moderne est bien entendu propice à une opération marketing de grande envergure.

On comprend lors de sa gestation initiale que ce Gran Turismo ne s’annonçait pas sous les meilleurs auspices d’autant plus que le choix du cinéaste en charge n’augurait rien de bon. Placer Neill Blomkamp aux commandes pouvait laisser perplexe puisque malgré des débuts très prometteurs avec District 9, œuvre d’anticipation brillante, il n’a jamais réussi ensuite à confirmer ; Elysium et Chappie ne se sont pas hissés au rang de son premier travail, endigués dans une démonstration pataude et une narration en roue libre. Et revenir après sept ans d’absence pour une commande comme Gran Turismo n’allait pas sans doute pas aider Neill Blomkamp à se relever…

En immersion

Certes, il lui était déjà difficile d’éviter la vitrine publicitaire, presque incontournable, pour Nissan et PlayStation. Mais même piégé dans ce vaste processus, il aurait pu tirer son épingle du jeu à l’image de Greta Gerwig dans Barbie. Hélas, dès l’exposition, et ce durant trente minutes, on assiste à une insupportable campagne promotionnelle pour vanter les mérites des deux mastodontes. En lieu et place de rebondir sur ce passage obligé par de l’autodérision ou un quelconque morceau de bravoure, Blomkamp préfère s’enfoncer en affichant à la vue du public, les modèles de luxe de l’écurie Nissan et l’importance de la saga estampillée Sony, réduisant le prélude à un spot grotesque.

Après cet interminable prologue, Neill Blomkamp se décide enfin à entrer dans le vif du sujet en introduisant ses protagonistes, ancré dans des archétypes peu originaux, ce qui ne constituerait pas un souci en soi si les interprètes s’investissaient un tant soit peu et si le cinéaste s’évertuait à nuancer leurs caractères. Les cabotinages de David Harbour et d’Orlando Bloom irritent tandis que les poncifs s’accumulent (le jeune prodige issu des classes populaires, le mentor sur le retour, le cadre aux dents longues…). Ce résultat accablant n’est en aucun cas amoindri par l’immersion ratée dans les coulisses de la « Gran Turismo Academ »y ou dans l’environnement quotidien de Jann.

Et cela chagrinera les admirateurs de Neill Blomkamp qui se remémoreront l’habilité qu’il avait déployée pour plonger le spectateur dans l’univers crasse de District 9 tout en insufflant une énergie remarquable à ses personnages. Ici, il ne surprend pas et déçoit lorsqu’il présente les moments soi-disant clés de la formation de Jann, décrédibilisée par le manque de maîtrise de la temporalité. Pour une histoire basée sur des faits réels, il est difficile de croire que joueurs et joueuses aient acquis une condition physique et mentale préalable au sport automobile sur une si courte durée (courte, car il est impossible de l’évaluer avec exactitude). Le plan de Neill Blomkamp et de ses producteurs se déroule en revanche sans accroc au moment d’aborder les affres du circuit et d’ériger un monument élégiaque à deux firmes plutôt que d’offrir un vrai moment de cinéma.

Dérapage incontrôlé

Neill Blomkamp n’oublie jamais l’objectif de Sony et de Nissan lorsqu’il se concentre sur la course et les prouesses des participants. Par contre, il omet tous les principes élémentaires de mise en scène au profit de ses jouets technologiques (ah les drones) et ne saisit jamais la nature épique de la quête de Jann et encore moins de la compétition. Cette désillusion atteint son apogée au moment de retranscrire les 24 heures du Mans. Ce sommet mythique, magnifié par James Mangold dans Le Mans 66 ne symbolise qu’une vulgaire étape de plus dans le récit de Neill Blomkamp alors que l’émotion tant attendue ne jaillit jamais.

Car la seule ambition de Sony avec ce Gran Turismo est de valoriser, plus que de raison, le parcours exceptionnel du véritable Jann. Cependant, malgré les réticences de David Harbour et les doutes émis par son personnage envers le projet d’Orlando Bloom et de Nissan, le long-métrage véhicule un message assez paradoxal. Il sous-entendrait presque que le destin de Jann n’est point unique et que chaque adepte du jeu vidéo peut aspirer à des exploits identiques. Ce propos fallacieux et dangereux répond aux velléités marketing des deux sociétés et interpelle a fortiori.

Mais le plus triste survient quand Neill Blomkamp démontre qu’il lui reste quelques onces de talent, ce savoir-faire qui lui permit de briller avec District 9. Lors de deux scènes miroirs par leur thème, Jann explique d’abord à celle qui l’aime ce qui l’anime au volant, argumentation reprise bien plus tard par David Harbour. En quelques secondes, Neil Blomkamp prouve qu’il est capable de bien mieux à défaut de se transcender. Et on s’interroge légitimement sur ce qui aurait pu être… et sur ce qu’aurait dû devenir Neill Blomkamp, un cinéaste de premier plan.

Malheureusement, l’homme s’est perdu depuis de trop nombreuses années et se cache derrière un coup d’essai grandiose pour justifier un statut culte qu’il ne mérite sans doute pas. Il rejoint quelque part certains auteurs surévalués qui ont échoué à se renouveler (Fernando Mereilles, Andrew Niccol). Il est certain que Gran Turismo ne ressuscitera pas le créateur de District 9. Il va peut-être même inciter définitivement le milieu du septième art à ne plus lui confier un quelconque projet. Au vu du résultat, il vaudrait mieux.

François Verstraete

Film américain de Neill Blomkamp avec David Harbour, Orlando Bloom, Archie Madekewe. Durée 2h14. Sortie le  9 août 2023.

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