Trois amigos! de John Landis : Y a-t-il encore un acteur pour sauver Santo Poco ?
1916, Mexique. Carmen et son frère se rendent dans un bar mal famé afin de recruter des mercenaires capables d’abattre « El Guapo », un redoutable hors-la-loi qui fait trembler le petit village de Santo Poco. Vite rabrouée, la jeune femme se réfugie dans une église. Sur un écran y est projeté un film présentant les exploits de trois justiciers masqués. Confondant cinéma et réalité, elle va faire appel aux trois acteurs pour qu’ils l’aident dans son combat désespéré…
On pourrait presque regretter l’époque des séries B comme on l’entendait durant les grandes heures hollywoodiennes. Excepté le genre horrifique, peu d’œuvres s’inscrivent dans cette veine et les films dits indépendants ne rentrent pas dans cette catégorie. Ces longs-métrages à la velléité purement ludique, dépourvus d’une quelconque prétention, ont disparu. Le public a préféré se tourner vers des blockbusters insipides pas plus inspirés que ces petites productions, plus futées qu’en apparence.
Grand artisan de ces films ludiques, John Landis est surtout connu pour son diptyque musical réjouissant The Blues Brothers et Un prince à New York. Mais le cinéaste a aussi officié sur d’autres projets notables tels que le Loup-garou de Londres ou encore Trois amigos!, sur lequel il est intéressant de s’attarder en raison de sa récente sortie en DVD/Blu-ray. Si le western spaghetti s’efforçait de déconstruire son modèle américain, John Landis va faire de même avec l’héritage de Sergio Leone. Cependant, il ne faut pas s’attendre à une révolution, car Trois amigos! s’inscrit parfaitement dans la filmographie de son auteur, farce pas toujours jubilatoire, façonnée par un sale gosse, mais systématiquement créative.
Méprise multiple
Beaucoup diront que l’on sourit plus qu’on ne rit aux éclats devant Trois amigos!, la faute en incombe à une accumulation de gags trop vus par la génération actuelle et qui ont mal vieilli avec le temps. Il faut avouer que John Landis ne peut pas revendiquer d’avoir réinventé les bases de l’humour au cinéma, même s’il recrée avec efficacité les artifices comiques de ses aînés Charlie Chaplin, Buster Keaton, Howard Hawks ou Blake Edwards. Néanmoins, il serait injuste de le limiter à un pâle imitateur dénué de savoir-faire et Trois amigos! démontre sa capacité à extraire le meilleur des situations incongrues.
Le long-métrage repose sur un dispositif basé sur la méprise, procédé, il est vrai souvent utilisé, mais plutôt bien employé ici. Si tout part de l’incompréhension de Carmen à l’origine, le principe humoristique prend toute son ampleur durant la scène de saloon. Confrontés aux brigands de toute sorte, les acteurs les effraient bien malgré eux tandis que John Landis offre un numéro d’équilibriste assez maîtrisé. On s’amuse même devant le morceau musical composé par les trois compères.
Quant à l’anniversaire d’El Guapo, il constituerait presque le clou du spectacle, chaos virevoltant d’où les gags et gaffes fusent de toute part. Cette réussite (la plus belle du film sans doute) permet en outre de souligner la démarche sous-jacente de John Landis, loin d’être innocente, mais aussi assez maladroite.
Légendes malgré eux
Les férus de cinéma classique connaissent sur le bout des ongles la célèbre réplique de L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford, « quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende ». John Ford résumait en quelques mots sa réflexion et interrogeait sur la construction d’un mythe. John Landis ne propose pas de nouvelles réponses à la question dans Trois amigos! (et sans lui faire offense, il ne possède pas le talent nécessaire pour le faire). En revanche, il s’appuierait presque sur le travail de John Ford pour articuler sa narration.
En amalgamant fiction et réalité, chaque protagoniste ne parvient plus à distinguer le vrai de l’illusion du cinéma. La scène pendant laquelle le trafiquant allemand se confronte à Ned Nederlander se révèle éloquente sur ce point ; le personnage incarné par Martin Short explique que sa vitesse d’exécution à l’écran n’est point truquée, ce qui a le don d’irriter son interlocuteur. Dès lors, la confusion règne, les acteurs imposteurs se transforment en héros, les mêmes qu’ils interprètent habituellement. Cette mutation forcée entache le bilan de John Landis tant cette chute agace et gâche quelque part ce qui a été entrepris durant la première moitié du long-métrage.
Car Trois amigos puise sa force dans la maladresse et l’erreur de ses protagonistes, dans leur incapacité au départ à comprendre l’engrenage fallacieux au sein duquel ils sont entraînés. En réfutant ce processus, John Landis se trahit et déçoit. Au lieu de se hisser au même rang que The Blues Brothers ou Un prince à New York, Trois amigos! ne dépasse pas son statut, celui du petit film malin et habile, mais limité.
François Verstaete
Film américain de John Landis avec Steve Martin, Chevin Chase, Martin Short. Durée : 1h38. 1986. Disponible en DVD/Blu-ray aux Éditions Carlotta, 15 euros