Ulysse ou Colomb, notes sur l’amour de la littérature par Henri Raczymow

Henri Raczymow est un infatigable promeneur des Lettres et un amoureux fou de la Littérature. Retirez-lui Proust, il vous mordrait ! Son style est inimitable : c’est une conversation à bâtons rompus où rien, cependant, ne s’éloigne jamais du sujet. Quel bonheur de partir en promenade littéraire avec lui et de se perdre dans ses digressions ! Se perdre, c’est le sujet de son invitation au voyage qu’est Ulysse ou Colomb, notes sur l’amour de la littérature.

partir ou revenir ?

Et pourquoi diable écrire plutôt que s’en abstenir ?

Le chemin de la littérature consiste-il à partir ou à revenir ? revenir à un lieu perdu ou partir vers un lieu inconnu ? En d’autres termes, savoir où l’on va ou savoir d’où l’on vient, être Ulysse ou bien Colomb ? Les « notes » diverses mais non disparates qui forment ce voyage à l’intérieur du processus d’écriture même sont une manière de répondre à cette tension intérieure. Car jamais il ne part ni ne revient, il reste suspendu dans un monde qui n’existe que par la lecture et pendant le temps de la lecture.

Les exemples qu’il donne, pour autant, manifestent un goût certain pour le voyage. Souvenirs de séjours réels ou de lectures, Henri Raczymow est dans Ulysse ou Colomb comme son héros Proust, toujours à la recherche. D’un équilibre, d’un bon mot, d’un moment qui fera sens. C’est une œuvre en mouvement qu’il se propose de construire, luttant contre la pesanteur de la récréantise.

la récréantise

Non, la littérature est un mythe auquel je n’ajoute plus foi. Pourtant je continue d’écrire. Que faire d’autre ?

Quelle belle invention que celle-ci, la récréantise, qu’Henri Raczymow ose dans ces pages. Ni une fainéantise recréée ni récréation active, mais forgée sur « récréant » (qui refuse de combattre car à bout de force), récréantise marque ici l’état d’un entre-deux. Ante et Nunc. Henri Raczymow ne cesse de faire des va-et-vient et de se poser, naïvement : la question : était-ce mieux avant ? Sera-ce toujours avant qui pourra être le mieux, pour moi mais aussi pour les prochains qui s’interrogeront ? Auquel cas la littérature et ses affidés sont un monde mouvant mais constant dans ses normes.

Pourtant Henri Raczymow manifeste avec justesse un changement, qui n’est plus de mode mais structurel. La littérature n’est plus filtrée par le temps qui passe, les œuvres importantes restant et les œuvres de moindre importance passant au travers et chutant dans l’immense plage de l’oubli — définitif ou non —, mais par le diktat économique qui impose le rendement immédiat. Alors la littérature, qui est une affaire de temps diachronique est soumis à un impérative synchronique. Cela produit une littérature-objet qui nie, dans son existence même, la Littérature.

en belle compagnie

Vous croiserez Proust, bien sûr, mais aussi Pascal, Chateaubriand, Rimbaud, Beckett, Kafka, Flaubert, notamment. Et bien sûr, Henri Raczymow parle de lui, mais pas pour parler de lui. Il sait, comme dans la plupart de ses œuvres, parler de lui pour atteindre une vérité supérieure, disons universelle (mais sans la prétention du mot). La vérité en laquelle peut se reconnaître tout lecteur se mettant dans ses pas, et comprenant combien ces belles petites promenades sont autant de leçons d’une vie. Car l’anecdote, ici, a valeur de preuve. C’est le sel de la littérature. Dont l’amant est l’écrivain, quel qu’il soit, partant qu’ […] un écrivain, c’est quelqu’un qui écrit même quand il n’écrit pas. »

Ces « notes » en mouvement interrogent la littérature même. Qui n’a jamais eu d’amant plus fidèle et plus exalté qu’Henri Raczymow qui nous offre, avec son Ulysse ou Colomb, un si beau voyage. Car il sait d’où il vient, et, quoi qu’il en ait, il sait où il va, puisqu’il ne quitte jamais ce beau pays Littérature.

Loïc Di Stefano

Henri Raczymow, Ulysse ou Colomb, Editions du Canoë, 111 pages, janvier 2021, 15 eur

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