Sur Pivot, et sans apostrophe ? A propos d’un hiatus

Frédéric Beigbeder rappelait récemment au Masque et la Plume qu’il avait arrêté la coke, mais cela ne l’empêche pas d’aspirer du H. En effet, dans sa dernière chronique publiée dans Le FigMag (sur l’ouvrage de Noël Herpe Ma vie avec Bernard Pivot), il écrit « le hiatus ».

Bien sûr, il n’est pas le seul à faire cette faute — on la trouve même, entre autres, dans le docte apparat critique d’un volume de poésie de la collection GF —, mais ce n’en est pas moins une faute. On doit dire et écrire « l’hiatus ». Le h initial n’est pas aspiré.

On voit bien l’origine de cette faute. On voudrait que le mot reflète directement la chose. Hiatus en latin désigne un trou, une fente, une ornière. (En anglais, les comédiens emploient souvent ce terme pour désigner une période d’inactivité entre deux films. Et les spécialistes de médecine savent qu’on appelle hiscence une éventration.) On aimerait donc trouver un hiatus dans les sons mêmes qui le traduisent ; en disant « *le hiatus », on introduit, entre l’article le et le mot hiatus, un espace qui ressemble furieusement à un vide. À un hiatus.

Mais c’est chercher là une vérité ontologique de la langue, une correspondance parfaite entre les mots et les choses qui n’existe pas. À cet égard, le plus bel exemple est peut-être le mot haplologie, qui désigne la réduction à une seule syllabe de deux syllabes consécutives identiques. Par exemple, au lieu de se fatiguer à dire tragico-comique, on dira simplement, dans un seul souffle, tragicomique. Même affaire en anglais pour l’adverbe signifiant simplement. Nice (agréable) donnant nicely (agréablement), simple devrait donner *simplely. Mais on réduit cette dernière forme à simply, parce que c’est nettement plus… simple. 

Alors oui, haplologie (du grec haploos, simple, et logos, parole) pourrait avoir l’amabilité de s’illustrer lui-même en devenant *haplogie, mais il préfère conserver son lolo. 

On pourra le regretter. Mais le plaisir de la langue ne vient-il pas de ces « incohérences » ? Quel est donc le poète qui faisait remarquer que, curieusement, on dit « brise » pour désigner un souffle doux, et « bise » pour désigner un vent violent ? Et un comédien français expliquait un jour que l’une des premières choses qu’il avait apprises d’un de ses maîtres est qu’il n’est pas interdit de prononcer le mot langueur de la manière la plus énergique qui soit.

FAL

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