Danton et Robespierre, le duel
Danton et Robespierre : ils sont devenus frères ennemis après avoir été unis dans la révolution. Ils ont fait l’objet de films, de récits, et surtout d’interprétations diverses que Loris Chavanette tente de tirer au clair. Ce qui le conduit à retracer l’histoire de la révolution française de 1789 à 1794, de la naissance de Danton et de Robespierre à la politique, jusqu’à leur exécution au temps de la Terreur. Loris Chavanette a l’art de faire un récit palpitant du déroulé des événements, chez lui le sérieux de l’enquête ne se départit pas d’un talent littéraire. Historien, il est aussi romancier.
Notre mythe fondateur
C’est un nouveau récit de notre mythe fondateur qu’il nous donne. Puisque ces cinq années sont au fondement de notre vie collective, jusqu’à aujourd’hui. Chacun devrait le connaître, dès l’école – comme, aux temps anciens, chacun était imprégné de la Genèse. C’est un mythe, pas seulement un moment de notre histoire, c’est-à-dire un récit des origines qui donne un sens à ce que nous vivons, que j’associerais volontiers au Totem et tabou de Sigmund Feud. On y raconte en effet le meurtre du père collectif, Louis le seizième, suivi de la lutte intestine des frères pour établir de nouvelles lois. Il était facile d’être unis contre l’ennemi commun, il l’est moins de concevoir un nouveau mode du vivre ensemble. Les anciens idéaux sont mis à bas, il faut en établir de nouveaux.
Dans le récit de Loris Chavanette, on voit l’histoire se construire pas à pas. Rien n’est donné par avance, chacun contribue à l’écrire, à sa façon. Il faut que le roi s’enfuie jusqu’à Varennes en juin 1791 pour qu’il soit convaincu de connivence avec les rois étrangers qui font la guerre à la France. C’est un comploteur, combien le sont avec lui? La perspective d’une monarchie constitutionnelle est dès lors ruinée, nous aurions pu la connaître encore… Et l’ennemi n’est plus seulement aux portes de la France il est aussi intérieur.
Le danger est partout, les anciennes lois sont caduques, les nouvelles lois ne sont pas établies. Un tel manque de repère dans une famille fait flamber n’importe qui. Tout individu a besoin d’intégrer ce que les psychanalystes appellent un surmoi pour vivre en bonne intelligence avec autrui. Ses pulsions doivent être régulées par les deux faces du surmoi, positive et négative : pour être « normal », à peu près adapté, il doit poursuivre des idéaux qui sont ceux de sa communauté, et s’interdire ce que les lois proscrivent. On peut penser qu’il en est de même pour un collectif. Lorsque le collectif n’est pas structuré par des lois et des idéaux, toutes les violences sont possibles, les transgressions comme les délires. Et quand un délire est partagé par une communauté, il semble devenir pour elle la réalité.
Robespierre, ou la folie en politique
A lire le portrait que Loris Chavanette fait de Maximilien Robespierre, on peut penser qu’il fut l’homme « providentiel » pour un collectif sans boussole. De même, toutes proportions gardées, qu’Hitler rencontra un écho chez les Allemands désorientés depuis leur défaite de 1918, lui qui leur offrit un ennemi pour qu’ils se reconstituent comme aryens : ce furent les juifs. Dès 1789, Robespierre cherche à dénoncer les complots qui selon lui sont légion. Citons Chavanette : « à la tribune des Jacobins, il enchaîne les discours vindicatifs contre les riches, contre les modérés, contre les juges, contre les tièdes, contre les indulgents, contre les égoïstes, contre les étrangers qualifiés d’ennemis intérieurs par nature, contre les nobles (…), contre les journalistes et les acteurs de théâtre » lesquels furent les premiers à passer sous la guillotine… Il voit partout des ennemis de la révolution – à se demander s’il ne l’est pas lui-même ? Robespierre est un homme malheureux, il le dit dans une lettre à un ami : il ne possède pas le bonheur, pour s’en consoler il cherche à l’apporter aux autres. Il le fait à sa manière, parfaitement vindicative… Son austérité, sa rigueur lui valurent le surnom d’Incorruptible. Il l’est jusqu’à la pruderie, flairant vite chez les autres la débauche… il est sec, il a le teint bilieux, Danton est un colosse plutôt rougeaud, amoureux des plaisirs de la vie… Robespierre s’avoue « orgueilleux », à lire ses discours on peut même le dire mégalomane. N’importe quel « psy » discerne chez lui, pour le moins, un caractère paranoïaque… Un caractère qui confina au délire avec la Terreur : alors les ennemis surgirent de partout, de la droite girondine comme de la gauche hébertiste. Dans un premier temps Danton suivit ce mouvement, lui aussi demanda la création du tribunal révolutionnaire, mais il souhaitait une véritable justice, il estima que les accusés avaient droit à une défense. Pas pour Robespierre. Pour lui, un dossier d’accusation suffisait. Dès lors il vit dans son ami Danton un modéré, donc un comploteur… Sans doute Robespierre médita sa chute, son exécution dès ce moment. Il le fera guillotiner le 5 avril 1794. Le député Drouet était robespierriste : « Soyons brigands pour la défense de la liberté » clame-t-il lors d’une séance de la Convention, celle-ci ne fait que murmurer… Autrement dit : soyons hors la loi pour faire respecter la loi… Voilà à quel paradoxe de corruption des idéaux aboutit l’excès de rigueur. On pourrait dire que Robespierre transposa dans le domaine politique l’intégrisme de la religion chrétienne : il développe une même haine que les fondamentalistes pour les apostats – ce qui n’est pas sans faire penser aux intégristes musulmans d’aujourd’hui ! Puisque pétri de religion, Robespierre le fut : on lui doit la farce de l’Être suprême.
Il me semble qu’avec Robespierre apparait le modèle type des dirigeants des dictatures démocratiques – qu’on me pardonne cet oxymore. C’est que dans les temps de profond changement, de révolution, une minorité devient active, « enragée » parce que déchaînée : privée d’idéaux comme d’interdits, elle déraille, elle est sujette à toutes les transgressions, toutes les violences. Quand elle trouve un leader doué d’une personnalité suffisamment pathologique pour résonne à ses délires, le pire peut arriver. J’ai déjà cité Hitler qui surgit quand l’Allemagne est effondrée, on peut penser aussi à Staline qui apparaît dans une société qui n’est pas encore stabilisée, à Poutine qui apparaît dans le contexte d’un libéralisme échevelé, sur les ruines de l’URSS…
Tout finit bien…
Heureusement pour les français vint le 9 thermidor. Robespierre a l’intention de relancer de nouvelles exécutions, les députés de la Convention se sentent visés. Beaucoup, déjà, ont été guillotinés. Le 27 juillet 1794, il est accusé de tyrannie par la Convention. Dès qu’il cherche à prendre la parole, les députés hurlent « à bas le tyran ! ». Il parvient quand même à dire : « C’est donc Danton que vous voulez venger ». Peut-être bien… Il monte sur l’échafaud le 28 juillet 1794 ; soit 114 jours après Danton.
Voilà ce que m’a donné à penser le livre de Loris Chavanette. J’ai tiré un fil plutôt qu’un autre. L’auteur est un grand spécialiste de la révolution française. Le titre de sa thèse d’histoire fut « Repenser le pouvoir après la Terreur – Justice, répression et réparation dans la France thermidorienne », c’est dire qu’il connaît la question de la dictature. À travers Danton et Robespierre, il dessine deux tendances politiques de la gauche qui subsistent aujourd’hui : le premier fut radical, ne refusant pas la violence quand elle s’avère nécessaire, mais toujours avec mesure. Le second fut extrémiste, jusqu’au fanatisme.
Jean-Claude Liaudet
Loris Chavanette, Danton et Robespierre, le choc de la révolution, Alpha Humensis, février 2024, 560 pages, 12,50 euros