La Vie intense, souvenirs cubains de Zoé Valdés

Fervente opposante au régime dictatorial castriste, né la même année qu’elle, Zoé Valdés n’est pas revenue à Cuba depuis 1995. Depuis lors, elle est réfugiée politique à Paris, puis en Espagne, dont elle obtient la nationalité, vivant et travaillant dans ses deux nouvelles patries. Écrire ses souvenirs d’enfance, même pour une romancière qui a mit sa vie en livres, est donc un voyage particulier, d’autant qu’elle dit vouloir revenir à Cuba , un jour, mais qu’elle est lucide sur les conditions de réalisation de ce vœux. La Vie intense la projette dans son enfance cubaine, sa jeunesse rebelle, ses études, ses lectures, ses premiers écrits, la reconnaissance de sa voix singulière, jusqu’à cet exil à Paris.

Sans la moindre nostalgie

L’œuvre abondante et très largement récompensée de Zoé Valdés naît dans la contrainte. Et tous ses combats, littéraires et politiques, auront pour seul dessein la Liberté. C’est avec ce même esprit qu’elle laisse venir à elle, par de multiples petits chapitres, les images qui jaillissent et construisent un portrait par touches sensibles. Images de sa vie, des siens, sa famille ou ses amies, de Cuba.

Pourtant rien dans sa vie ainsi reconstituée n’est marquée par la nostalgie, propre à cet exercice d’écriture. Même les nombreux passages relatifs à sa mère ou à sa grand-mère. Car plane sur toute cette vie l’ombre de « la bête », Fidel Castro, comme elle l’appelle. Et Cuba, l’ile de la cacophonie (Ínsula de cagonia), elle en comprendra la réalité profonde. Il faut de la souffrance pour ainsi fuir son pays, qu’elle considère toujours comme source de maux pour son peuple : « la faim, la misère, la répression et la mort. » Les années n’ont rien adouci du ressentiment envers Cuba, des cartes de rationnements, de la police, de la peur… La folie collectiviste des premières années du régime castriste est vue par ses yeux de petite fille de la campagne, qui doit apprendre que tout un monde répond aux exigence d’une idéologie. En ce sens, elle apporte un témoignage important, vivant, de la réalité à l’intérieur de la névrose dictatoriale et doctrinaire, presque anthropologique.

Une vie à écrire

La Vie intense est aussi le témoignage d’une femme de lettres en devenir. D’abord la poésie, puis les romans. D’abord la philologie à l’université, puis le journalisme et les scénarios. Si la plus grande partie de son œuvre est écrite en exil, Zoé Valdés reste cubaine dans cette écriture foisonnante, baroque, avide de cette humanité bruyante et colorée qui fait le sel de l’Amérique latine. C’est pourtant à Paris que se forge son œuvre, sa manière même d’écrire. Paris, c’est la grande aventure de sa vie, la liberté. Elle pose nue pour un peintre, qu’elle apprendra plus tard être Balthus. À Paris, où elle se rend avec la délégation nationale pour l’UNESCO, c’est à la mythique librairie Shakespeare & co qu’elle se fera le serment de consacrer sa vie à l’écriture, après y avoir dormi, et c’est là-aussi qu’elle rencontrera Samuel Beckett, auprès de qui elle forgera sa volonté de ne jamais écrire que des phrases justes. Elle quitte alors l’influence cubaine moderne (notamment l’auteur José Lezama Lima, 1910-1976, proscrit par le régime et de ce fait encensé par la jeune garde révoltée) pour trouver dans les racines antérieures de l’île une source pour forger son propre style, plus foisonnant, plus sauvage, plus vrai.

La Vie intense donne à lire le parcours d’une personnalité touchante dans sa construction individuelle et artistique, dans son combat pour la démocratie et dans ce que l’exil apporte finalement d’essentiel. C’est un livre monstre et précieux, riche, prenant, qui apporte un éclairage sur la construction de l’œuvre immense de Zoé Valdés.

Loïc Di Stefano

Zoé Valdès, La Vie intense, traduit de l’Espagnol (Cuba) par Albert Bensoussan, La Part Commune, janvier 2024, 278 pages, 23 euros

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