le Dernier chasseur, un français au Groenland

Hubert Prolongeau, journaliste et écrivain, rencontre Julien Caquineau une première fois en 2016, au Groenland, lors d’un voyage de presse. Hubert sait que pendant cette petite balade touristique agrémentée de visites de fabriques de bière artisanale, de balades en traîneaux et de nuits passées dans des hôtels de luxe, il n’a fait que frôler la vérité du pays. Mais il rencontre Julien, un Français de 46 ans, né à Niort, devenu l’un des plus célèbres chasseurs du Groenland.

Hubert Prolongeau, une fois rentré en France, se rend compte que la seule vision juste du pays qu’il avait eue pendant ce séjour, était celle de Julien. C’est ainsi qu’il décide de refaire le voyage. Il passe trois séjours de trois semaines chez Julien, à l’écoute de son histoire, et s’adaptant à son quotidien.

Une approche plus authentique du danger

Le Groenland, c’est d’abord cela : cet éblouissement de couleurs, ces aurores étincelantes, cette splendeur d’autant plus évidente qu’elle dissimule le danger et la mort, cette idée d’une nature omniprésente ramenant partout l’homme à sa petitesse, ce sentiment d’être sur une terre dans laquelle il ne sera jamais que toléré… 

Julien Caquineau, avant d’arriver au Groenland, a d’abord été passionné de base-jump, un sport extrême qui le pousse à aller toujours plus loin. Jusqu’au jour où il saute et côtoie de trop près la falaise. Le verdict tombe : Julien ne pourra plus marcher. Mais Julien n’est pas du tout d’accord avec ce verdict. Comme un acharné, il s’entraîne tous les jours et remarche. Persuadé qu’il pourra pratiquer à nouveau le base-jump, il se jette de la falaise et se heurte alors à une réalité flagrante : si ses jambes peuvent marcher, elles ne peuvent plus sauter.

C’est en allant dans le grand froid pour tourner une vidéo de base jump qu’il ne tournera jamais que Julien sent l’appel de la glace.

La vie au Groenland tranche complètement avec sa vie d’avant. Même si on retrouve la notion du danger et celle de la mort, il ne s’agit pas d’être le plus fort ou le plus fou. Bien au contraire. Ici, les choses sont très simples. Pour vivre, il faut manger, pour manger il faut chasser et pêcher. Si on tombe dans l’eau, on meurt et si on ne ramène pas de phoque, de poisson ou de morse, on ne mange pas. Il faut connaître cette nature et ses chemins, savoir les écouter, savoir les contourner. On se jette sur la banquise sans élastique et sans caméra. Il n’y a pas de performance. Il faut être patient, réfléchi et sage.

Une vision moderne bien trop lointaine de la chasse au Groenland

Très vite, il adore ces départs au petit matin. L’atmosphère l’envoûte, quand la banquise commence à se former, qu’elle esquisse sur la mer un voile blanc et fragile, marqué par les vagues de la houle, et que lui passe avec son bateau, faisant un bruit de tissu qu’on déchire. A cela s’ajoutent les lumières magnifiques, vertes, roses, bleues. Les gros icebergs qu’il frôle lui procurent un délicieux frisson…au point d’en oublier le danger ? Un jour, pourtant, il va découvrir que la glace est aussi un piège.

A travers ce récit, on se heurte à cette vison bien trop éloignée de ce que peut être la chasse au Groenland pour le reste du monde. Dans nos sociétés modernes, où le véganisme et l’antispécisme sont largement répandus dans nos façons de vivre, l’idée de la chasse est très mal comprise et vivement critiquée. Julien aime rappeler que le chasseur ne tue pas pour tuer. Ses proies ne sont pas des trophées qu’il exhibe. Le chasseur met chaque jour sa vie en jeu pour nourrir sa famille.

Chasser n’est pas un divertissement, pas plus que partir en mer n’est une balade pour les pêcheurs bretons, mais une nécessité et le fondement culturel de tout un mode de vie. La chasse n’a jamais été tournée vers autre chose que la survie. L’animal, c’est la viande qui permet de se nourrir. Autrefois, c’était aussi la graisse qui permettait de s’éclairer, et la peau qui permettait de se vêtir. La cosmologie inuite fait une large part aux animaux, qui sont unis aux humains dans l’origine et la création du monde.

Hubert Prolongeau nous rappelle d’ailleurs que la chasse est réglementée. La plupart des espèces sont soumises à des quotas de chasse et chaque chasseur doit consigner dans un carnet ce qu’il a tué.

Il faut vivre cette vie pour la comprendre en profondeur. C’est pour cela que Julien est devenu un vrai chasseur, aussi respecté. Julien n’a pas effleuré le sujet. Il a bâti sa vie au Groenland. Il y a rencontré sa femme et y a fait ses enfants. Pour cet homme qui a vécu deux vies bien différentes, qui, aujourd’hui mène des expéditions de plusieurs jours en traîneau dans des conditions météorologiques parfois épouvantables pour ramener un phoque, il est impensable de considérer la chasse comme un acte barbare.

Réchauffement climatique : un pays qui change

Julien sera-t-il l’un des derniers chasseurs ? La question peut se poser quand on prend la mesure de ce que le réchauffement climatique entraîne comme conséquences sur le mode de vie des Groenlandais.

Si autrefois, les saisons étaient toutes semblables et que les chasseurs savaient exactement quand prendre la route, aujourd’hui, les choses sont bien différentes. Les écarts de températures sont considérables et les surprises régulières. Il pleut quand il ne devrait pas pleuvoir, il neige quand il ne devrait pas neiger et la chaleur s’invite pour faire fondre la glace, au mauvais moment. Il devient presque impossible de prévoir une expédition.

Mais de ce changement, il y a toujours quelque chose à prendre. Avec l’adoucissement des températures, on voit arriver plus de touristes. Le Groenland devient plus accessible.

La vie commence à changer, le commerce aussi. 

Si le changement climatique entraîne de nouvelles contraintes, il apporte aussi des choses positives dont les pêcheurs se réjouissent. Avec la fonte des glaces et la montée des eaux, des bancs de poissons affluent et parviennent à se frayer un chemin jusque-là. La pêche est fructueuse. Il est même devenu possible de faire pousser des fruits et des légumes, une chose qui était impensable il y a encore quelques années.

Il aimerait bien un jour réussir à faire pousser…des fleurs, une idée qui le ferait presque rougir. Le réchauffement est aussi une bonne chose pour les cœurs d’artichaut.

Voici donc la brise glacée qui vous rafraîchira cet été ! Partez à l’aventure et sillonnez les blocs de glace, avec l’expérience de Julien Caquineau et la connaissance d’Hubert Prolongeau.

Un livre à dévorer sur la plage, avec un petit esquimau !

Elodie Da Silva

Hubert Prolongeau, Le Dernier chasseur, Albin Michel, mars 2023, 232 pages, 21,90 euros

Laisser un commentaire