Le courage des autres, microf(r)ictions et métro par Hugo Boris
La rentrée d’hiver chez Grasset a sa pépite : le courage des autres !
Le Courage des autres de Hugo Boris n’est que son cinquième livre. Mais même s’il publie peu sous ce pseudonyme d’un encore jeune professeur de cinéma à l’école Louis Lumière, cet auteur a réussi, en seulement quelques livres remarquables, à trouver une voix propre. À l’humanisme certain. À la poésie évidente. Aux effets minimalistes et puissants à la fois.
Car dès son premier roman, Le Baiser dans la nuque chez Belfond (2005, puis Pocket 2007), Hugo Boris a placé la barre très haut. Récompensé par deux prix du premier roman reconnus, à Chambéry et Blois, ce premier opus, relation subtile entre une femme devenant sourde et son professeur de piano taiseux, posait déjà sa marque. Campait sa signature.
Alors qu’il a toujours rêvé faire du cinéma, paradoxalement ce n’est qu’avec son précédent roman, Police, paru aussi chez Grasset, que Hugo Boris verra son univers adapté en salles. En effet, Anne Fontaine sort, en avril de cette année, sa version de ce livre-choc. Avec un casting poids lourd s’il vous plait : Omar Sy, Virginie Efira, Grégory Gadebois. Ce long huis-clos écrit comme un long-plan séquence sur un drame (peu) ordinaire mais si représentatif d’un climat délétère actuel, se coltinait déjà ses sous-textes prégnants : violence, tolérance, courage et lâcheté ! Chaos vs force !
En effet Hugo Boris semble comme obsédé par un fil rouge. Tendu à craquer au-dessus de ses propres abîmes. La solitude immarcescible de l’homme moderne. Plongé, perdu, dans un monde disproportionné. Qui n’a plus taille humaine. Ainsi, puissants, l’impressionnisme et la cinégénie de ce thème ont alimenté son imagination. Le courage des autres en est donc, sans coup férir, son ultime avatar.
Seul ou légion, la solitude est dans la foule
Parce qu’encore une fois, on ressent dans Le Courage des autres cet amour rare de l’humanité qui caractérise Hugo Boris. Ce décalage quasi invisible à l’œil. Mais sensible au cœur. Entre un premier plan réduit à une humanité floutée. Et un second, où le décor urbain ou technologique écrase l’homme. Le condamne a son anonymat mortifère. L’indifférence à l’autre comme seul viatique. La solitude DANS la foule.
Mais, comme dans les dessins de Sempé, dont j’ai parlé ici, Hugo Boris sait toujours, par petites touches, comme par des visions vertigineuses, suspendre le temps. Et le rendre plus heureux. Ou plutôt, moins dur. Ce va-et-vient, somme toute paradoxal, est pourtant le point d’équilibre, toujours fragile, de ses romans. Cette apesanteur, cette suspension belle ET triste. Celle du cosmonaute esseulé qu’il a si bien décrite dans Je n’ai pas dansé depuis longtemps. Et qui rêve de la Terre, regrette sa pesanteur. Car il EST terrien !
Alors, impétrant lecteurs boojumiens, embarquez avec moi dans les (d)rames du métro du Courage des autres. Venez vous frotter frontalement à l’humanité. Au revers de l’âme humaine. Du plus beau au plus vil. L’indifférence. Le courage. La lâcheté. Leur absence, ou leur (fugace) présence. Ce point nodal, de bascule qui parfois nous habite ou nous déserte. Nous sauve, ou nous condamne.
L’enfer c’est les autres ?
Pour Hugo Boris, point d’anathème sartrien où l’enfer est chez les autres. Chez lui, l’enfer est en nous. Profond, solitaire. Pesamment ancré. Et donc, parfois, les bouches de métro font des entrées très acceptables pour l’enfer, sa géhenne et sa litanie de supplices.
L’origine du courage des autres, Hugo Boris ne la cache pas. Il est le résultat de son “herbier” métropolitain. La première racine. Parisien, le métro, est son outil de transport imposé. Sa mélodie de fer et de béton. Une routine que seuls ceux qui la pratiquent continûment, peuvent appréhender dans son exigeante complexité. Faites de rythmes, d’horaires, de contingences, de contraintes et d’avanies régulières. Où la lie côtoie le sublime. L’horreur, la poésie. Et parce qu’à ce jeu-là l’âme s’émousse, souvent l’atonie devient lâcheté.
Alors, depuis des années, il note ces virgules de vie, ces saynètes captées dans les rames des lignes qu’il écume. Pour ne pas oublier. Ne plus se gommer. Lui et les autres. Lui malgré les autres. Un gros mille-feuille de textes, notules. Empilés scrupuleusement dans une chemise cartonnée. Avec le temps, celle-ci déborde. Trop plein mafflu qui rejoint un jour son autre source. Plus amère sans nul doute.
Car, seconde racine de cet « herbier », se tapit l’hydre d’une phobie personnelle. En effet Hugo Boris ressent un énorme blocage face à la violence. Une sidération. Qui, à bien y regarder, ressemble bien à la lâcheté ordinaire. La plus banale. Celle de biens de nos contemporains. Mais qui prise individuellement, dans le for intérieur de chaque introspection, dit beaucoup de notre construction. Mentale, familiale, symbolique.
Parce qu’il en a une conscience aiguë, Hugo Boris a très tôt lutté contre cette embarrassante catatonie. En se mettant aux arts martiaux par exemple. Et si Le Courage des autres débute sur le jour où il a obtenu, haut la main, sa première dan de ceinture noire de Karaté, ce n’est pas un hasard.
Ceinture noire versus idées noires
J’ai donc passé la noire hier, samedi, dans un gymnase bruyant qui sentait la sueur et le vieux tatami […]
J’ai veillé à ne jamais tourner le dos aux jurés, levant les yeux jusque dans le salut, ostensiblement, pour leur montrer à quel point j’étais sur mes gardes, à quel point je maîtrisais les codes, partant du principe qu’une attaque surprise pouvait survenir à n’importe quel moment, même le dos courbé pendant les politesses d’usage, éventualité improbable que je feignais d’envisager pour me faire bien voir.
Las ! Cette stratégie s’avère vite bien futile. Le jour même, dans le RER B, Hugo Boris vit une agression violente dans sa rame. Mais non pas en acteur, dans une opposition rêvée maintes fois : dynamique, citoyenne et courageuse. Non. Il reste un spectateur passif. Un voyeur vaguement lâche. Trop heureux d’une issue en forme de statu quo qui évite le pire. Mais ne lui évite pas ses état d’âmes. Tout ça pour ça ?!
Alors, comme catharsis de ce dégoût de lui-même qui l’encombre tant, il retrouve son « herbier ». Et le miracle se produit. En s’immergeant dans ce flot d’humanité métropolitaine croisé au fil du temps, il se rend compte qu’il est loin d’être seul. Surtout, il écrit, décrit en touches impressionnistes ces petites comme ces grandes victoires quotidiennes qui font que l’homme n’est pas forcément un loup pour l’homme. Qui dit brebis, dit berger et chien de berger aussi.
Car, mieux encore, sourdent de ses propres lignes, la conscience et la prescience forcenées que l’espoir se cachent dans les plus infimes détails. Que les plus faibles en apparence, recèlent bien des courages cachés. Alors, peintre attentif, il nous croque en creux ce qu’il ne peut pas vraiment dire sur lui. En ébauchant les peurs, les fuites, les paniques des autres. Même en baissant l’échine, entre stupeur et tremblement, plus souvent qu’à son tour. Il n’est plus aussi clairement le vivant complice de la lâcheté des autres.
Le Courage des autres n’est pas forcément lâcheté de soi
Ainsi, obstinément, courageusement, Hugo Boris dessine dans Le Courage des autres plus que son propre démon. Il l’affronte et l’expulse. Corollaire, heureusement, en contrepoint, il peint à fresque son humble courage. Le plus évident. En affrontant, in fine, une situation paroxystique où l’instinct créera le mouvement salutaire. Où la course ne sera plus fuite. Où l’adrénaline ne sera plus panique. Et faire front, une rédemption brutale.
Dire que ces récits, ces chroniques ont été d’une lecture addictive et bouleversante est peu dire. Il est rare qu’en si peu de pages, on ressente une telle immersion hypnotique. Car Le Courage des autres touche forcément la corde sensible la plus fragile qui sommeille en nous. Celle que l’on ne peut ignorer face à l’adversité. LA question qui nous met à nu. Et moi à sa place, est-ce-que j’aurai réagi ? Aurai-je osé m’interposer ? Aurai-je eu le courage ?
Hugo Boris un (auto)portraitiste rare
Vous n’êtes pas prêt d’oublier la foule qui vit ici. Une faune bigarrée. Faussement policée. Dont le vernis craquelle parfois. Cette population urbaine des mégalopoles devenues interchangeables dans le grand village mondialisé. Vous sautera au visage le tatouage au bras de celle-ci. Le regard enfantin de celui-là. Le silence de cet autre.
Vous n’oublierez pas non plus le décor qui avale ces destins. Les quais effrayants, dignes de Dante. Ou magiques, façon Harry Potter. Les nuits perpétuelles, en dedans, comme en dehors. Les élans d’inconnus pour des inconnus. Les courses précipitées de la foule en fuite. Le poids d’un mot en cas de secours. D’un geste en cas de folie.
Tandis que la masse des passagers se disloque dans la chaleur de la gare, je garde par devers moi, cet épouillage discret et désœuvré […] qui me donne à ressentir le sentiment inverse, celui de la continuité du monde, le sentiment d’appartenance à un corps qui dépasserait les limites du mien.
Alors subtiles microf(r)ictions, étrange mise en abîme ou première auto-fiction, peu importe, Le Courage des autres est remarquable !
Révérence et chapeau bas Monsieur.
Marc Olivier Amblard
Hugo Boris, Le Courage des autres, Grasset, 169 pages, 17 sur