Nos mères ont toutes raison

Dans la série des romans familiaux, Alexandre Jardin ajoute une fois encore une nouvelle pierre à l’édifice d’une famille hors-norme, en écrivant un récit tendre et sincère, une lettre à la mère, une bouteille échouée au large de l’amour maternelle, qu’il espère bien voir lue par la personne la plus chère à laquelle il l’adresse.

 

Après une série de romans à l’eau de rose, et d’amour à la Feydeau, dans lesquels Alexandre Jardin chantait déjà la liberté de l’amour et des êtres aimants, leur audace, leurs folies, leur singularité, l’écrivain français a décidé d’entamer une saga familiale, en ouvrant sur le père, mort trop tôt, Le Zèbre, à 46 ans. Puis il y eut une série de récits, parfois tragiques, souvent drôles, comme si Alexandre cherchait désormais à s’émanciper de cette famille, fabriquée d’êtres aussi insolites d’excentriques, attachants et étouffants à la fois ; comme si Alexandre voulait couper le cordon, une sorte de doxa de psy à notre époque selon l’écrivain, se défaire d’un tumulte permanent, d’une famille hors-norme, aussi inspiratrice que destructrice.

 

Cette fois-ci c’est au tour de la mère, d’être croquée, révélée au grand jour, par l’écrivain, qui signe une longue lettre d’amour et de reconnaissance en dette ; dans la filiation de Sacha Guitry qui écrivit autrefois un Mon père avait raison, il affirme que sa mère avait elle aussi raison. Mais raison de quoi ? D’aller jusqu’au bout d’elle-même ; de ne point refuser la liberté à laquelle elle devait une reconnaissance sans limites. Celle de pouvoir brûler sa vie de tout bois, la consumer et la vivre jusqu’aux dernières limites. Car, tandis que certains se font professeurs de désespoir, Alexandre se veut professeur de liberté et de joie.

 

De cette liberté totale dont il se revendique, celle d’être soi, de vivre sa singularité jusqu’à l’extrême, de ne pas se laisser embrigader dans la morale morose d’une société grise :

 

De toi, j’ai appris que s’élancer dans les gouffres permet à nos ailes de pousser. Sans cette absolue confiance dans la vie, tout nous retient. Et l’existence n’est plus qu’un rendez-vous raté avec soi. »

 

Dans le château de Fanou, château de sa mère, Alexandre verra les conquêtes amoureuses de sa génitrice se succéder. Des personnages réels, parfois jusqu’à cinq amants en même temps, et souvent des personnages de fictions, transformés par la plume du père, la caméra de l’amant Claude Sautet.

 

Dans le mouvement de la vie, chacun évite le mur de ses peurs. Toi, tu l’as toujours défoncé avec joie, indiscipline et délicatesse. Ton goût immodéré de la liberté, ton acharnement à aimer, à ne jamais tricher sur tes désirs, recouvrent une sorte d’austérité morale. […] En amour, tu déménages avant que l’usure ait eu sa part. Tu ne sais pas laisser battre ton cœur au ralenti. Avec toi, et dans tous les domaines, l’improbable rafle tout. »

 

La folie de Fanou est donc sans égale. Mais a-t-on le droit d’être elle ? C’est bien la question que pose Alexandre. Qu’il se pose et qu’il nous pose. Car Alexandre veut ériger sa mère en modèle. Or, nous savons tous que nos mères sont toutes nos modèles. Oui, Alexandre a raison, nos mères ont toutes raison. Et même si « la vérité explosive doit toujours être tenue éloignée de nos vies. »

 

Aussi, si Alexandre veut couper le cordon, ce ne sera pas pour « rompre avec (sa) liberté », « rejoindre les rangs des apeurés, des tristes mesurés et des hésitants », mais bien pour vivre s vraie liberté, celle d’être soi, non pas ses parents, les autres, la morale, mais sa propre singularité, son être même sans dualité. Et c’est en ce sens, que cette lettre à la mère se referme sur un hommage et un une reconnaissance en amour éternel.

 

Marc Alpozzo

 

Alexandre Jardin, Ma mère avait raison, Grasset, 216 pages, 18,50 euros

 

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