Alfred Dreyfus, vérité et justice : une exposition qui pèse ses mots
Les films qui ont relaté l’affaire Dreyfus se concentrent soit sur le déroulé minutieux des faits, le rôle admirable d’Emile Zola ou encore sur la machination antisémite comme le J’accuse de Roman Polanski.
L’exposition qui se tient jusqu’au 31 août au Musée D’art et d’histoire du Judaïsme, sans négliger le contexte et les faits, rend hommage, dès la première salle, au principal concerné et maintient ce fil tout au long du parcours.
L’honneur d’un homme

On le suit, de ses années de formation à Polytechnique, jusqu’à sa mort après avoir servi sous les drapeaux pendant la première guerre mondiale. On comprend ce qu’il endura lors de son emprisonnement à l’île du Diable pendant plus de 3 ans de 1895 à 1899. Pour réveiller l’intérêt de l’opinion publique, facilement oublieuse, son frère Mathieu, en 1896, fait croire à une évasion, ce qui durcit les conditions d’incarcération mais permet de relancer l’affaire. Quant à son épouse, elle joua un rôle primordial en le soutenant indéfectiblement et en l’empêchant de céder au désespoir, ce qui aurait nui à son honneur et à sa défense.
C’est aussi l’histoire d’une famille qui, à la suite de la victoire allemande de 1870 et de la perte de l’Alsace par la France, choisit la nationalité française confirmant ainsi une appartenance que la francisation de son nom avait déjà prouvée.
L’intérêt particulier de l’exposition est de donner à voir une foule de documents de l’époque, ceux de la famille, photographies et lettres manuscrites mais aussi pièces du procès, articles de presse des deux bords, et croquis des audiences rarement présentés.
« Si l’Affaire fit la presse, la presse fit l’Affaire »
La une de l’Aurore du 13 janvier 1998 où Zola fit publier son J’accuse est célèbre. On connait moins d’autres figures du journalisme, comme Bernard Lazare, qui, dans ses mémoires successifs, inaugura la fameuse anaphore reprise par l’écrivain.
La presse joua d’abord un rôle majeur en raison des l’évolution des moyens techniques : une demi-heure pour transmettre à 370 kilomètres les minutes des audiences, grâce à un système de relais. Mais ce qui frappe le plus est la virulence des dessins de presse satiriques antidreyfusards. Si la loi du 29 juillet 1881 a libéré l’expression, elle l’a peu encadrée. Ainsi le sulfureux Musée des horreurs de Victor Lenepveu » animalise de façon choquante les dreyfusards, Zola au premier chef, et les juifs qu’il est censé représenter. En revanche Félix Vallotton porte la défense de Dreyfus dans le satirique Cri de Paris par une de série dessins à l’encre de chine.
Les rédactions à quelques exceptions près prennent position, en majeure partie contre Dreyfus, et avec un fort tirage : quand le Petit Journal publie à 995 000 exemplaires, l’Aurore n’en fait paraître que 93000.
Vérité et justice
Pour que la vérité trouve son chemin malgré le « dossier secret » et autres écrits forgés de toute pièces ou falsifiés, il fallut le courage et la probité de certains hommes politiques comme le sénateur protestant Scheurer-Kestner, qui, fin 1797, apporta des preuves de la culpabilité d4Esterhazhy, même si ce dernier fut acquitté dans un premier temps. Il fallut 8 ans pour que le pourvoi en cassation du jugement de 1894 aboutisse en 1906. Entre temps ce fut un combat pied à pied pour déjouer toutes les manœuvres de déstabilisation et de poursuite des dreyfusards pour que « vérité et justice » soient faites. Avec le recul, on peut dire que ces mots ne sont pas usurpés.
Les intellectuels
Si la presse joua un rôle primordial dans l’Affaire, c’est aussi que naît avec elle la figure de l’intellectuel.
” De tous les legs de l’Affaire Dreyfus au XXe siècle, le personnage de l’intellectuel, né de la pétition du 15 janvier 1898 est l’un des plus durables. Il a donné naissance au mythe de l’intellectuel engagé, appliquant par extrapolation le grille de lecture de l’Affaire aux événements du siècle suivant. »
La mobilisation publique en faveur du développement de l’esprit critique émerge dès les années 1870, ainsi des polémiques entre écrivains, philosophes et sociologues acquièrent de la visibilité, la jeune Ligue des Droits de l’homme, des revues et associations fédèrent ceux qui pensent la République en danger.
Ces fractures traversent jusqu’au domaine des beaux-arts : on admirera l’engagement dreyfusard d’un Pissarro ou d’un Emile Gallé dont des œuvres admirables figurent dans l’exposition, on regrettera l’aveuglement d’Edgar Degas et la frilosité de Rodin.
L’exposition et le catalogue font le tour de la question en multipliant les approches et en se fondant sur une foule de documents divers, émouvants, révoltants, donnant au final un ensemble passionnant.
Florence Ouvrard
Isabelle Cahn & Philippe Oriol (sous la direction de), catalogue de l’exposition Alfred Dreyfus. Vérité et justice », Gallimard/Musée d’art et d’histoire du judaïsme, mai 2025, 288 pages,
250 illustrations, 39 euros