Jacques Cazotte, La patte du chat, un conte philosophique et loufoque

Apres que François de la Harpe a écrit La Prophétie de Cazotte, prêtant à ce dernier des talents de voyant, nous ne pensions pas que l’auteur du Diable amoureux puisse d’avantage nous surprendre. Pourtant, en nous faisant découvrir La Patte du chat, initialement publié en 1741, Guillaume Métayer y parvient ! Il nous présente un conte jouant habilement aussi bien avec les codes du prince charmant qu’avec ceux de son temps, tout en montrant des qualités d’inventions et de drôlerie loufoques incroyables.

Le royaume de Zinzin, miroir de la cour et des cœurs. 

À travers La Patte du chat, Jacques Cazotte nous entraîne dans le royaume de Zinzin. C’est une terre loufoque où la magie règne bien plus que l’autorité d’un roi timide et d’une reine vaniteuse. Ce singulier mariage nous semble toutefois béni des fées lorsque l’on en découvre le fruit, une délicieuse princesse du nom d’Amandine. Dotée de grâce et de beauté, elle est exposée chaque jour tel un véritable joyau de la couronne devant une foule de prétendants.  Mais nul n’est assez aimable à ses yeux. Jusqu’à l’arrivée d’un homme, ou plutôt un nez. Mais quel nez ! Un nez dont l’incroyable grandeur n’a d’égal que celle de son détenteur, Amaldil. La belle tombe littéralement amoureuse.  Cette chute aura des conséquences, une patte de chat fracturée et une idylle désormais brisée. Car c’est sur la patte de Grognon, petit protégé de la reine, que le malheureux désormais bani venait de marcher. Désormais banni, Amaldil vivra de grandes aventures, guidées par l’espoir de revenir un jour à Zinzin quérir la main de sa belle. 

Ces pérégrinations engagent une réflexion sur l’amour sous ses divers aspects. On nous le présente naissant dans un cœur pour la première fois amoureux, guidé par les fantasmes d’une créature onirique, tendre entre une mère et son fils et enfin sous les traits de l’amour propre connu de tous mais que nul n’ose nommer. C’est ainsi par des voies détournées que l’auteur se plait à le moquer. Et il se dégage alors de ce conte une satire politique écrite avec beaucoup de malices. Car les diverses cours, tant féérique que dynastique, sont munies des travers du pouvoir et d’exemples qui, bien que rocambolesques, ne semblent pas avoir eu besoin de beaucoup d’artifices pour l’être. Cazotte use du merveilleux pour peindre un tableau peu avenant de la monarchie absolue.  Sa critique est redoutable, certes, mais équitable car des médecins aux courtisans en passant par les artistes, aucun  n’est épargné ! 

Une griffe originale 

Le fond de cette histoire saura amuser et surprendre le lecteur. Mais la plume de l’auteur ne le laissera pas en reste. Car La Patte du chat porte une belle et moderne auto-dérision, notamment dans le titre des chapitres : « qui n’est pas plus divertissant que les deux autres » ou encore « qu’on trouvera trop long de moitié ».  Ne laissez toutefois  pas ces confessions à demi-mots, mais a l’humour pleinement assumé, vous décourager. Car si le personnage d’Amaldil tient là un nez et un panache semblables à ceux de Cyrano, l’auteur semble avoir aussi hérité de son goût des bons mots et de la grandiloquence. En nourissant son récit de trait d’esprit en aphorismes, Cazotte offre différents degrés de lecture, et les histoires de princes charmants finissent par porter des notions de morale et de politique. Il fait un conte philosophique, dont le style n’est ici pas sans rappeler voltaire. Et il annonce les tribulations et circonvolutions de Jacques Le Fataliste de Denis Diderot.

Qui eut cru qu’une patte de chat puisse pointer de tels enjeux ?

Hécate Wotton 

Jacques Cazotte, La Patte du chat, édition de Guillaume Métayer, Rivage, « Petite bibliothèque », avril 2021, 128 pages, 7,60 eur

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