James Bond 007 contre Docteur Mots

Disons-le d’emblée : l’ouvrage intitulé The Wit and Wisdom of James Bond a a priori deux défauts. Mais, ces deux défauts touchant à son principe même, il convient peut-être de préciser les choses.

Comme le titre le suggère, nous avons là une compilation de répliques diverses empruntées à tous les films de la série (et à différents personnages, et non pas seulement à Bond), avec un certain nombre de photos, mais il est probable que la moitié de ces répliques passeront au-dessus de la tête des lecteurs « profanes » qui ne consacrent pas leur vie à voir et à revoir les aventures cinématographiques de l’Agent 007 : toutes ces citations sont données telles quelles, sans rien pour rappeler leur contexte. Ainsi, si l’on peut imaginer que « Shocking, positively shocking » évoquera dans la mémoire de tout un chacun la mort du méchant électrocuté dans sa baignoire à la fin du prégénérique de Goldfinger, il n’est pas sûr que « Try to be a little less than your usual frivolous self, 007 » soit aussi parlant (il s’agit d’une remarque du toujours excédé Q dans Opération Tonnerre).

Le second défaut, qu’on vient d’ailleurs de percevoir à travers ces deux citations, est que l’ouvrage est en anglais et dans l’ensemble parfaitement intraduisible, même si des régiments de sous-titreurs et de doubleurs ont, par la force des choses, dû trouver pour le cinéma des équivalents français à ces répliques.  Le « Tu peux dire que ça fait un choc » de la VF de Goldfinger fait sans doute son petit effet, mais on perd pratiquement le double jeu de mots « électrique » sur shocking (choquant/électrocutant) et sur positively (absolument/suivant le pôle positif du courant). Traduire, c’est toujours trahir, mais c’est surtout perdre des plumes.

Toutefois, si ce second défaut est irrémédiable, le premier que nous avons signalé révèle à sa manière une qualité essentielle des dialogues des « Bond ». Ce ne sont pas des « mots d’auteur » plaqués artificiellement. Non, ils sont le plus souvent intégrés à l’image, à la situation, et c’est peut-être là l’une des raisons majeures du succès des films de la série (en tout cas lorsqu’ils sont réussis) : leur cohérence.

Ce qui appelle une dernière remarque. Les Anglais, pour désigner ces bons mots, parlent souvent de one-liners. Répliques brèves, d’une ligne, qui fusent et qui claquent. Mais on s’aperçoit dans cette compilation que ces one-liners sont souvent en réalité des three-, four-, voire five-liners, parce que ce sont souvent des justifications. Justifications des méchants qui, lorsqu’ils sont traités de fous, expliquent qu’entre la folie et le génie, la différence est mince, un génie étant tout simplement un fou qui a réussi, ce qui implique une responsabilité de la société. Mais la surprise majeure vient du fait que les bons, James Bond en tête, passent autant de temps que les méchants à se justifier (le « shocking ! » lancé par Bond n’implique-t-il pas que le méchant était si laid qu’il méritait de mourir ?), et il convient peut-être ici d’évoquer la thèse d’un biographe de Fleming selon laquelle c’est un profond sentiment de culpabilité qui aurait amené celui-ci à imaginer ses romans. On sait en effet que Fleming avait joué un rôle majeur dans l’élaboration de l’Operation Mincemeat qui a récemment fait l’objet du film La Ruse et qui consistait à créer à partir d’un cadavre anonyme déguisé en officier anglais et bardé de documents tous aussi faux les uns que les autres un leurre destiné à orienter l’ennemi allemand sur de fausses pistes. Cette victoire aurait, dit-on, évité la mort de milliers de soldats britanniques, mais cette victoire gagnée de manière déloyale s’accommodait assez mal du principe de fair play si cher aux Anglais. Et donc, James Bond est là pour racheter cette faute en se présentant toujours dès la première seconde comme « Bond, James Bond ».

FAL

James Nolan & Simon Ward, The Wit and Wisdom of James Bond. Titan Books, London. £14.99

NB : Signalons que, malgré ce que nous avons dit à propos du caractère intraduisible de cet ouvrage, les éditions Ynnis se sont valeureusement risquées à en proposer une version française, sous le titre James Bond – Les Répliques qui tuent (17,95€).

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