Vie™, l’évangile du nihilisme selon Jean Baret

Un auteur radical

Avocat, Jean Baret s’est laissé prendre par le démon de l’écriture et a commencé par publier des nouvelles dans des anthologies. L’année dernière, il a publié au Belial son premier roman, Bonheur, conçu comme le premier volume d’une trilogie (on peut cependant les lire séparément). Dérangeant, antipathique, Bonheur secouait le lecteur par son nihilisme et sa description d’une société de consommation poussé à l’extrême… En fait, on n’avait encore rien vu, car Vie™va beaucoup plus loin.

Futur ultra consumériste

Sylvester Staline, citoyen X23T800S13E616, effectue sa journée mécaniquement, soumis à la publicité en ligne, aux implants, au sexe virtuel avec des semblables qu’il ne voit jamais. Son seul travail est de bouger des cubes de couleur, tâches sans logique ou sens. Le soir, il reproduit les mêmes gestes :

… il se lève, va vers la penderie, ouvre la porte coulissante, sort une boîte, ouvre la boîte, prend un objet et parvient à éviter les informations de son AugEyez™ qui va lui débiter les mêmes conneries sur son absence de licence. Il enfourne le canon de patent 626TB25 au fond de sa gorge et presse la détente. »

Chaque matin, il se réveille, regénéré par son Ted™, sorte de bain cellulaire qui lui assure une immortalité de fait. Sylvester Staline vit en fait une grave dépression, détectée par les algorithmes qui régulent la société. Il suit donc une thérapie tandis qu’on ajoute des antidépresseurs à son bain cellulaire. Mais ça ne marche pas, Sylvester se suicide chaque soir.

illustration de couverture d’Aurélien Police

Pour s’en sortir, il décide de devenir un prophète du nihilisme. Pour devenir un bon prophète, les algorithmes lui adjoignent des avatars de Jésus et Bouddha. Il lui faut son premier disciple cependant et on lui adjoint alors un autre avatar :  Alan Turing en personne, qui lui créée un messager idéal : V, héros de BD du vingtième siècle doté du masque de Guy Fawkes (je renvoie aux albums d’Alan Moore). Sylvester et V développent donc un discours anti-algorithme mais jusqu’où va-t-on les laisser aller ? Et puis V n’est-il pas lui aussi un algorithme ?

Une dystopie radicale et profondément dérangeante

Vie™ frappe par sa radicalité. Dans la tradition de la « Speculative fiction », avec un ton clinique qui rappelle parfois celui de Ballard dans Crash, Jean Baret observe notre société et ses tendances puis extrapole. Comment ne pas voir dans les descriptions des relations de Sylvester avec ses semblables nous-mêmes en train de cliquer sur des écrans tactiles pour interagir sur les réseaux sociaux ? Comment aussi ne pas voir derrière ce roman la thématique des IA ? Car derrière les algorithmes qui gouvernent la vie de Sylvester Staline il y a des IA (qui ont pris le pouvoir dans cette société consumériste il y a des siècles si on suit ce que suggère le roman).

Comme son prédécesseur, Vie™ n’est pas un roman sympathique mais qu’importe ! Ce qui compte ce sont les débats qu’il suscite sur le consumérisme, la disparition progressive de nos libertés dans un monde où tout n’est que produit et, finalement, notre indifférence face à cela. Vie™, de ce point de vue, est le roman de notre modernité.

Sylvain Bonnet

Jean Baret, Vie™, Le Bélial, illustration de couverture d’Aurélien Police, septembre 2019, 320 pages, 19,90 eur

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