Un monde plus grand, entretien avec Cécile de France

Corine Sombrun a vécu une expérience qui a transformé sa vie. Partie faire un reportage en Mongolie, elle s’est retrouvée au cœur d’une petite tribu de nomades qui l’a initiée au chamanisme. Après diverses séances elle a développé ses propres dons de chamane et a décidé d’en faire profiter notre monde trop moderne… Elle a raconté son parcours dans un livre qui est aujourd’hui devenu un film. Son intérêt majeur — outre la prestation de la toujours parfaite Cécile de France — réside dans son immersion au fin fond de la Mongolie. Un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants qui semble vivre hors du temps (même si certains roulent en moto) mais qui a accepté d’accueillir une équipe de tournage un mois durant. Le chamanisme reste au cœur du sujet mais d’autres éléments, dont l’harmonie avec la nature, s’imposent. On pourrait y voir un petit côté Rendez-vous en terre inconnue (ce que réfutent avec véhémence la réalisatrice et Cécile de France !) mais, heureusement, le propos va bien au-delà. Nulle condescendance, nul apitoiement, simplement un regard sur un monde qui a plus à nous offrir que ce que nous pouvons lui apporter. 

Entretien avec Cécile de France

Aviez-vous déjà abordé le chamanisme avant de faire ce film ?

Non, pas du tout. Mais depuis le film que j’ai fait avec Clint Eastwood [Au-delà avec Matt Damon], je suis attirée par les choses mystérieuses de la vie et les choses pas expliquées par la science. Je pense avoir l’esprit très ouvert et être curieuse d’expériences hors du commun. J’ai envie de m’ouvrir à l’émerveillement.

Qu’est-ce que ces expériences chamaniques vous ont apporté ?

Philosophiquement c’était très intéressant. Humainement aussi parce qu’être immergée dans la vie de ce peuple nomade — un des derniers d’Asie, malheureusement — a été un véritable enseignement. J’ai pu observer leur mode de vie, leur philosophie en harmonie avec la nature. Ça m’a fait réfléchir aux limites des certitudes de notre société matérielle et cartésienne, trop rationaliste, trop analytique. Sur les capacités du corps humain aussi. Ce que l’esprit est capable de provoquer en termes d’auto-guérison. Ça m’a aussi fait réfléchir sur l’invisible, sur les ondes, les vibrations, tout ce que nos sens ordinaires ne peuvent pas percevoir. Dans la pièce où nous nous trouvons, il y a des choses que nous ne percevons pas et qui, pourtant, sont bien là.

Et en tant qu’actrice ?

Artistiquement ça  a été très enrichissant. Une grande expérience parce que Fabienne Berthaud est une réalisatrice qui est très exigeante, qui laisse très peu de place à la fabrication et au faux. Il fallait vraiment que je donne en densité et en grâce, ce qu’on ne m’avait encore jamais demandé. 

Tout cela vous a-t-il changé ?

Ça m’a ouvert mon regard sur le monde. Donc, forcément, j’ai un esprit plus critique sur notre mode de vie occidental. Se croire supérieur à la nature n’est sûrement pas la bonne voie. C’est incroyable de voir ce que l’esprit de Descartes a fait sur nos civilisations depuis qu’il a écrit ses conneries. J’observe mais je n’ai pas forcément de réponses. 

Etre sur place, en Mongolie, a dû accentuer les choses ?

Oui, totalement. C’étaient des conditions exceptionnelles qui m’ont permis de m’investir totalement dans mon rôle. Même si je prends tous mes rôles à bras le corps et je m’y investis à fond. Il y a aussi dans ce film un portrait de femme. Et j’y joue le rôle principal ce qui ne n’est pas arrivé souvent depuis Sœur Sourire ! Dans la plupart des films je suis ou la femme ou la maitresse ou la copine de… 

Savez-vous pourquoi Fabienne Berthaud vous a choisie ?

Je pense qu’elle a dû sentir que je fonctionne comme un animal. Je ne rejette jamais mon animalité e je fonctionne beaucoup à l’instinct, à l’intuition. De plus, je montre une image de moi pas trop glamour. Je ne me mets jamais sur un piédestal, je ne suis pas mondaine, je ne suis pas citadine. Tout ça envoie des messages qui correspondent à la force de caractère de Corine qui fait preuve de courage, de liberté et de force face au regard de la société. 

Comment avez-vous travaillé avec Corine Sombrun ? 

Je me suis préparée au rôle avec elle. Elle a été consultante pendant l’écriture du scénario, elle a doublé la seule actrice mongole du film, celle qui joue la chamane. Parce que le tambour était très lourd et cette actrice ne pouvait pas le porter pendant toute la scène alors que Corine en entrant en transe a la capacité de tout porter car elle ne sent plus le poids. Bref, Corine a été très présente y compris dans les parties scientifiques que l’on voit à la fin. 

Pouvez-vous nous parler de la transe ?

C’est un état de conscience modifié. Par exemple quand vous faites un truc que vous aimez et que vous ne voyez pas le temps passer — vous regardez l’heure et vous vous dites « Ça fait déjà deux heures que je fais ça ! » — vous êtes en état de conscience modifié. La transe par le son du tambour — qui diffère de la transe amazonienne à base de psychotropes — vous laisse totalement conscient de ce que vous faites. Mais le corps développe une nouvelle énergie. Chacun réagit différemment. Pour moi ce sont des mouvements répétitifs. Votre corps participe, tout ne se passe pas que dans la tête. Certains sons font agir tout le corps. 

Donc vous avez été réellement en transe ?

Oui, pour la première scène de transe, j’étais en transe. Mais ce n’est pas si dingue que ça en a l’air. En fait, quand un comédien joue il est déjà en transe !… Moi, quand je reviens d’une transe, je me sens connectée à mes ancêtres. Ca développe quelque chose d’universel, de familier et de naturel. C’est juste que nous, les Occidentaux nous ne nous en servons plus parce que nous estimons ne plus en avoir besoin. Nous avons mis en veille nos capacités sensorielles en sortant de notre environnement naturel. Tout ça pour dire que la transe n’a rien de sensationnel. C’est parce que nous essayons toujours de tout analyser qu’on traite ça de mystique ou de je ne sais pas quoi.

Y avait-il un risque à entrer en transe ?

Non, parce que Corine était présente et, en tant que chamane, elle était capable de me ramener. Parce que ça peut arriver chez des gens fragiles psychologiquement de partir sans jamais revenir. C’est-à-dire que vous restez enfermé dans une sphère et vous ne revenez pas sur Terre. 

Avez-vous hésité ?

Non parce que, comme j’écoute mon instinct, je sentais que j’étais à ma place. 

Propos recueillis par Philippe Durant

un monde plus grand,un film de Fabienne Berthaud, avec Cécile de France, Narantsetseg Dash, Tserendarizav Dashnyam, sortie : 30 octobre 2019, durée 1h40


Laisser un commentaire