Relire, une passion littéraire analysée par Laure Murat

Laure Murat, en début de livre, nous raconte la déception profonde qu’elle a vécue à revoir l’Atys de Lulli vingt cinq ans après en avoir eu la révélation. Une déception, accompagnée d’une confusion : elle dut admettre que son magnifique souvenir, était faux ! Peu de temps après, elle entreprit de relire Tristram Shandy, elle n’y retrouva pas le plaisir extrême qu’elle avait connu, au point que le livre lui tomba des mains…

Une vaste enquête

Relire un roman dont nous fîmes, il y a dix, vingt ou trente ans, une de nos fondations intimes devrait-il toujours provoquer chez nous un tel effondrement ? Pour en avoir le cœur net, Laure Murat a confronté son expérience à celle d’autres lecteurs. Elle a envoyé un questionnaire à deux cents auteurs.

Parmi ses commentaires, on apprendra à distinguer ce que Roland Barthes appelait la « lecture éphémère », une lecture passagère, soit une rapide consommation qui, selon lui, serait apparue avec le capitalisme, de l’ancien mode de lecture, où l’on ne se lassait pas de reprendre le même texte pour en tirer, à force de gloses et réinterprétations, à chaque fois du nouveau. Laure Murat reprend cette phrase de Roland Barthes :

« C’est dans le même qu’on trouve le nouveau – car dans le nouveau on risque de ne chercher que le même ».

Autrement dit : « ceux qui négligent de relire s’obligent à lire partout la même histoire ».

Relire, se relire

Stimulé par Laure Murat, j’ai tenté l’expérience de la reprise. J’avais gardé un souvenir grandiose d’un roman lu quand j’étais âgé de onze ou douze ans, j’y avais découvert la quintessence de l’amour. Oserai-je avouer qu’il s’agissait d’Atala, de Chateaubriand ? À relire, j’ai constaté que je revisitais (avec recul) mes émois, plus que le texte lui-même : ma lecture de ce temps avait été de nature parfaitement projective : dans mes jeux j’étais toujours indien, donc je me retrouvais bien chez les Natchez. Atala, qui sauvait et chérissait le jeune Chactas qu’assurément j’étais, mourait prématurément – tout comme ma mère. Et bien sûr l’amour d’Atala et Chactas était pur, idéal, dénué d’une sexualité qui ne m’avait pas encore saisi, vu mon jeune âge.

Ainsi, relire consisterait à se relire…

Proust, encore et toujours

Pour les auteurs interrogés par Laure Murat, le palmarès des relectures est le suivant : un de ses lecteurs sur quatre (24,6%) relit Marcel Proust, souvent en entier. Viennent ensuite Flaubert (17%), Montaigne, Nietzsche et Woolf (6,5%), Baudelaire, Duras, Beckett et Shakespeare (5,2%)…

On trouvera dans le livre les réponses complètes d’une vingtaine d’auteurs dont, cités au hasard : Jean Echenoz, Annie Ernaux, Cécile Wajsbrot, ,Olivier Rolin, Christine Angot, Patrick Chamoiseau…

Mathias Lair

Laure Murat, Relire, Enquête sur une passion littéraire, Préface de Laure Adler, Flammarion Champs/essais, mai 2024, 302 pages, 9 €

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