Jean Gabin, l’homme aux yeux bleus
Les éditions Glénat poursuivent leur exploration de personnalités du cinéma en bandes dessinées. En quelque sorte des digests de la vie d’artistes sous forme illustrées. Mais, heureusement, on ne tombe pas dans l’imagerie d’Épinal. Noël Simsolo est aux manettes et il connaît le septième art depuis des lustres.
Voici, Monsieur Gabin.
Une légende du cinoche qui a marqué ses époques (deux puisqu’on a l’habitude de parler du Gabin d’avant-guerre et, ipso facto, du Gabin d’après d’après-guerre). Évoquer tous ses films aurait été fastidieux, donc l’ouvrage préfère se concentrer sur les plus marquants, et ils sont suffisamment riches pour occuper 200 pages.
Néanmoins — et c’est là le véritable intérêt du livre — deux options sont privilégiées : la guerre et les femmes. Avec beaucoup de justesse, l’ouverture se fait sur un Gabin revenant de conflit. Il n’est plus le même homme. Pas seulement parce qu’il a vieilli (de quelques années seulement !) mais parce que son parcours en première ligne l’a profondément marqué. Combattre les Allemands depuis l’intérieur d’un char offre une perspective déroutante. Or cette partie de la vie de Gabin est habituellement occultée ou traitée à la va-vite. Tout juste si l’on explique qu’il a « fait une guerre exemplaire » en refusant de s’étendre sur les détails. Mais ce sont justement ces détails qui ont marqué l’homme. Gabin est revenu avec plus de poids, à la fois dans le physique et dans le crâne. D’où ses rôles, sensiblement différents du Jour se lève et de La Grande Illusion. Même Touchez pas au grisbi a peu de liens avec Pépé le Moko.
Les femmes ont aussi tenu un rôle non négligeable dans sa vie car il fut un grand séducteur. La faute, en partie, à ses légendaires yeux bleus (mis en avant dans le titre de ce livre et tout au long de la narration). Ses châsses, comme il disait. En 1970, il déclarait dans France-Soir :
Je n’aurais jamais fait la carrière que j’ai faite si je n’avais pas eu les yeux bleus. Les mecs qui ont de petits yeux noisette n’ont jamais fait florès au cinoche, talent ou pas. Faut des châsses claires.
Ses mirettes ont fait tourné bien des têtes jusqu’au jour ou Gabin s’est marié pour la dernière fois et a viré bon père de famille et pas mauvais éleveur de chevaux.
Le parcours d’une vie
Cette bande dessinée propose, donc, un parcours intéressant et documenté de la vie de Jean même s’il me semble qu’il faut déjà connaître des éléments clefs pour mieux l’apprécier. Certains films évoqués sont sans doute tombés dans l’oubli de même que les noms de personnalités qui traversent son chemin et, donc, ce livre. La culture cinématographique fout le camp, ma brave dame et je m’en aperçois tous les jours. Néanmoins rappeler le qui est qui et le qui fait quoi dans un livre comme celui-ci serait encombrant et superfétatoire. Aux lecteurs qui butent sur certains noms, je conseille de sauter sur le très inégal Wikipédia ou de savourer encyclopédies et autres dictionnaires.
Parlons aussi des dessins puisqu’il s’agit d’une bande… dessinée. Ils sont signés Vincenzo Bizzarri (non je ne vous ferai pas le mauvais gag « Vous avez dit Bizarri ? ») et ne manquent pas de qualité. J’avoue ne jamais avoir ressenti l’extase qui m’enivre à la lecture d’un Astérix (d’Uderzo !) ou d’un Blueberry (de Gir !) mais l’ensemble se parcourt aisément. Une sorte de travail à l’ancienne qui colle bien avec le sujet.
Pour terminer, je signale n’avoir relevé qu’une seule erreur. Très minime. Que je ne dévoilerai pas ici. Elle concerne un umlaut mal placé. Encore faut-il savoir ce qu’est un umlaut !
Allez, merci Gabin, t’avais de beaux yeux, tu sais…
Philippe Durant
Noël Simsolo et Vincenzo Bizzarri, Jean Gabin, l’homme aux yeux bleus, Glénat, décembre 2021, 210 pages, 25,50 €