Jean-Philippe Jaworski, Les Fauteurs d’Ordre

Dans le contexte des élection législatives en France, et la montée du Rassemblement nationale, Jean-Philippe Jaworski publie Les Fauteurs d’Ordre, conte noir sur un changement de régime politique.

De l’ordre !

Dans une province à l’allure très Renaissance, le pouvoir a changé de main et la nouvelle régence impose un retour à l’ordre moral strict. Les quarterons — qui ont un des grands-parents né hors du royaume — sont pourchassés quel que soit leur rang. Puis leurs bien confisqués. S’ils protestent ou, pire, s’il se trouve chez eux le moindre écrit séditieux, comme il y en est tant qui courent les rues, ils passent à la question et sont châtiés. Les rues sont pavés aux couleurs du pouvoir par de grands pans de tissu qui cachent aussi les portes désignées à la vindicte justicière.

Bras armé de ce grand nettoyage, le conseiller Hiero Praetor est un instrument efficace. Il s’applique à transformer le monde en cette promesse de petit royaume bien propre, lisse, retranché sur lui-même. Pour y parvenir, il est équipé de brutes aussi imbéciles que dociles, et des lois nouvelle, cet ordre nouveau…

Un tract politique

Par les rues du royaume fleurissent des tracts politiques comme la France a connu les mazarinades. Les Fauteurs d’Ordre est lui-même ce genre de texte car il est avant tout éminemment politique.

Dans une langue souvent drôle et très référentielle, notamment avec les noms des personnages — et le titre ! —, Jean-Philippe Jaworski brosse en quelques pages une société qui passe de l’aimable désordre, humain, à l’ordre le plus froid. Dans le contexte des élections législatives qui ont vu l’urgence de sa publication, Les Fauteurs d’Ordre fait bien évidemment penser à Matin brun. Toutefois, il s’en distingue par la nature même de ce qui est dénoncé. Non plus l’abandon du combat lui-même par deux personnages un peu lâches, pris dans un quotidien qui empêche toute liberté et auquel ils se soumettent petit à petit. Jean-Philippe Jaworski se place du côté de l’Ordre lui-même, pour en dénoncer aussi bien la violence que l’arbitraire, l’absurde de son intarissable appétit de victimes.

Jean-Philippe Jaworski se place donc dans un combat contre l’extrême droite et Les Fauteurs d’Ordre est la transposition des lignes noires d’un programme politique qui lui fait horreur. Droit du sol, préférence nationale, intransigeance « morale » contre le savoir — symboliquement c’est dans le bâtiment historique de l’université qu’ont lieu les tortures… — autant d’éléments qu’il a transposé avec l’urgence du besoin d’agir dès l’annonce des résultats du 1er tour, dans son univers habituel pour s’insurger contre la banalisation du Mal.

Loïc Di Stefano

Jean-Philippe Jaworski, Les Fauteurs d’Ordre, Denoël, « Lune d’Encre », juin 2024, 32 pages, 5 euros

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