The Nobody, la rencontre de deux paumés
Un surdoué de la bande dessinée
Né en 1976, Jeff Lemire a d’abord voulu se lancer dans le cinéma mais a choisi le comics comme moyen d’expression en jugeant que c’était le plus adéquat pour lui. Il écrit pour des gros éditeurs comme DC comics (Animal Man, Justice League) ou des éditeurs indépendants, par exemple pour Winter Road, traduit aussi chez Futuropolis, ou sa série Royal City publié chez Urban comics. The Nobody a été publié aux États-Unis en 2009 chez Vertigo, label “adulte” de DC comics, et a été traduit il y a dix ans par Panini. Les éditions Futuropolis le rééditent cette année. Pour quel résultat ?
Comment déranger un ordre immuable
1994, bienvenue dans le village de Large Mouth. Peu peuplé, très tranquille. Tout le monde se connaît. Et voici que débarque John Griffen, un homme couvert de bandages qui prend une chambre dans le motel du coin. Au départ, Griffen suscite peu de méfiance, les gens acceptant sa bizarrerie (tant qu’il paie…). Vickie, la fille du propriétaire du snack s’intéresse à lui. Elle découvre que Griffen est chimiste. Elle est surtout intéressée par son étrangeté complète. Griffen, c’est évident, cache quelque chose derrière ses bandages. Elle ne peut se douter qu’une expérience a mal tourné dans un labo lointain. Quand une femme dénommée Millie Jaffers disparaît, tous les soupçons se portent sur Griffen. Seule Vickie va l’aider.
Une bande dessinée ancrée dans le quotidien
Jeff Lemire, adepte d’un graphisme minimaliste, loin des « splash pages » des comics de super héros, livre ici une variation sur le thème de l’homme invisible, personnage créé par H.G. Wells et dont Griffen est un avatar contemporain (ou presque). Cela fonctionne bien. Les effets dramatiques sont renforcés par des couleurs austères, assez émouvantes au demeurant.
Le lecteur se prend de sympathie pour ce personnage bandé de la tête aux pieds et hanté par son passé (l’expérience, cher lecteur, a mal tourné dans tous les sens) devenu « personne ». La rencontre avec Vickie, adolescente en quête d’elle-même, sera un détonateur. Au final c’est très émouvant.
Sylvain Bonnet
Jeff Lemire, The Nobody, traduit de l’anglais par Sidonie Van den Dries, Futuropolis, juin 2020, 144 pages, 20 eur