Notre part des ténèbres, la BD de la révolte sociale
Huit clos haletant
Notre part des ténèbres, histoire apocalyptique qui pourrait être réelle encore de nos jours, est d’abord un roman de Gérard Mordillat (1). Il est repris aujourd’hui avec les dessins d’Eric Liberge. Cet album fait suite à un autre roman graphique commun, Le Suaire chez Futuropolis. Cette fois-ci ils changent du tout au tout d’univers sauf la part de violence qui est à l’unisson.
Vous ne savez pas qui nous sommes. Vous n’avez jamais voulu le savoir. Rien ne nous distinguait sur vos bilans comptables, vos statistiques. Maintenant, vous nous voyez. »
La croisière ne s’amuse pas du tout
Notre part des ténèbres est un thriller sur fond de drame social. Deux mondes vont s’affronter sans pitié… ou en tout cas l’un d’entre eux va subir la colère des premiers.
Les premiers sont salariés de la société Mondial Laser licenciés il y a quelques mois pour des raisons nous allons dire économique ou plutôt financières. Ils veulent se venger à tout prix et surtout contre tous des actionnaires de cette société vendue, à un fond spéculatif indien.
Jusque-là rien de nouveau dans le quotidien de trop nombreuses sociétés françaises qui se font piller et voir se délocaliser leur production. Et c’est souvent à l’Etat d’en assumer la responsabilité.
Les plus riches ont prévu de fêter le réveillon sur un bateau de croisière de luxe pour fêter leurs primes. Mais ils n’avaient pas imaginé que les salariés auraient pris le contrôle du bateau pour défendre leur dignité.
Ces pirates d’un nouveau genre entraînent le bateau et ses habitants vers un réveillon qui n’aura peut-être pas de lendemain.
Pamphlet contre la manipulation financière
Notre part des ténèbres est une satire évidente de la finance qui n’a d’intérêt que son propre bénéfice, qui n’amène de nos jours qu’une lutte sans espoirs des salariés déchus. Car l’Etat même ne réagit pas ou peu. Et même si ces sociétés ont souvent aussi bénéficié de larges avantages pour tenter l’impossible, elles ferment et délocalisent si facilement en laissant la casse sociale derrière elles.
La couverture annonce la couleur. Un bateau de croisière sous le feu de phares d’hélicoptères de combat sous une mer déchainée. Et la tempête règne également à l’intérieur du navire.
Et même si l’histoire parait chimérique elle entraine le lecteur dans un scénario virtuose qu’Eric Liberge rend réaliste et éprouvant. Il nous contraint à rester en apnée une bonne partie de la bande dessinée conçue tel un film à grand spectacle. Et nous sommes absorbés par l’action et revenons ensuite revoir les décors marins somptueux.
Xavier de la Verrie
Eric Liberge (dessin), Gérard Mordillat (scénario), Notre part des ténèbres, Les Arènes BD, septembre 2019, 96 pages, 20 eur
(1) Calmann-Levy (janvier 2008, 496 pages, 22,25 eur), repris en Livre de Poche (février 2009, 662 pages, 8,20 eur)