Baraque à frites, concentré de monde noir

Extraire du banal une histoire qui émeut et impressionne, c’est tout l’art de Jeremy Bouquin, récompensé par le Trophée 813 de la nouvelle pour cette inestimable pépite, Baraque à frites.

Julien et maman

Julien est un autiste adulte qui vit et travaille avec maman. Ils tiennent une baraque à frites, ancienne caravane devenue lieu de rendez-vous des paumés du coin, une zone industrielle quelconque dans un Nord de la France chagrin. Des travailleurs, des passants, des jeunes. C’est gras à souhait, en cornet, et tout le monde s’en régale. La Maman tient le lieu d’une main ferme, et couve son petit comme une louve. Il est gentil, Julien, « ouin ouin » comme on l’appelle pour se moquer de lui, mais il est fragile. Surtout quand une jeune femme vient commander des frites, il perd ses moyens. Alors maman intervient, le houspille comme il faut, gère tout et on ferme boutique jusqu’à demain.

Il y a Mike aussi, ou qui donne des coups de main, Mustapha le livreur, et d’autres figures. Mais ils sont trois, Julien, maman et la caravane, comme un tout. Comme le point d’ancrage d’un monde qui vire au noir tout alentour. Et qui vire au noir au dedans, quand un matin maman ne se réveille pas.

un concentré de noir

S’il respecte à la lettre les codes de la nouvelle, Jeremy Bouquin y ajoute son art propre, pointilliste. Il distille en peu de mots un univers riche et évocateur. Il n’a besoin que de suggérer, et la magie opère. Et les ambiguïtés enrichissent la lecture. Cette relation mère-fils, protection ou exploitation ? Le monde extérieur, menace ou espérance ? Les filles, que pourrait bien en faire Julien ? Si ce n’est pas bon pour lui, selon Maman, est-ce vraiment pour lui ou pour elle ?

Jeremy Bouquin fait tenir tout un univers dans les petites 80 pages de Baraque à frites. Tout un monde, là dedans, avec son passé et ses petites folies. Avec ses espoirs aussi. Avec son après. En soupesant les mots justes, simples mais précis, pour ciseler un concentré d’humanité.

Loïc Di Stefano

Jérémy Bouquin, Baraque à frites, éditions in 8, mai 2022, 84 pages, 8,90 euros

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