Journal intime de la Vierge Marie de Sophie Chauveau

Sophie Chauveau nous invite à une autobiographie de la mère de Dieu, comme on a fini par l’appeler, plus précisément à lire le journal intime de ses neuf mois de grossesse.

L’autrice n’en est pas à sa première biographie romancée. Elle nous a déjà fait voyager dans l’intimité de Lippi, de Botticelli, Vinci, Fragonard, Sonia Delaunay comme de Diderot (la liste n’est pas exhaustive). « La démarche initiale, c’est une œuvre qui m’éblouit, dit-elle lors d’un entretien sur web-tv-culture. L’œuvre alors est tellement forte que je cherche de façon très méthodique, comment on devient ce personnage, cet homme ». Ou cette femme.

Un journal de grossesse

Elle dit aussi : ce sont « des personnages qui méritent qu’on les prenne dans les bras, qu’on les berce un moment ». Ce qu’elle fait avec Marie, avec une belle tendresse. Le premier thème du livre est donc le récit d’une femme vivant sa grossesse, parlant déjà à cet inconnu qui l’habite, le parant bien sûr de toutes les qualités possibles. Pour une mère, son enfant est toujours comme un dieu…

De la conception à l’accouchement notre autrice nous décrit chaque étape, depuis l’incertitude des débuts (d’autant plus incertaine que la conception se fit par l’oreille, comme on sait) jusqu’à la pesante certitude du neuvième mois. L’accouchement réservera au lecteur une surprise, parmi d’autres. Je ne divulgue pas laquelle.

L’incarnation d’un mythe

La seconde thématique serait une variation sur le mythe biblique qui nous a tous constitués, nous les Européens… encore qu’à l’époque de Marie, la Bible n’existait pas, mais la Torah. Les évangiles furent écrits bien plus tard : celui de Marc vers 70, celui de Luc vers 80-90, idem pour celui de Matthieu – par des témoins qui étaient donc nonagénaires, on espère qu’ils avaient gardé toute leur tête… La grossesse de Marie est donc une histoire juive, plutôt que chrétienne. Depuis toujours la Torah annonce la venue d’un Messie. Et les anges ont coutume de visiter les femmes comme il est dit dans la Genèse : Il y a sur la terre les Nefilim / ces géants de célèbre mémoire / toujours là après que les fils des dieux / vont aux filles d’Adam / qui enfantent (6,4). Avec Marie, pour une fois, le géant sera un fils de Dieu. Merci bel ange Gabriel !

À l’époque de Marie, la Judée a particulièrement besoin d’un prophète : l’occupation romaine est cruelle. C’est pourquoi le pays est sillonné par des hommes exaltés qui se prennent pour des sauveurs, ils annoncent souvent la fin du monde, comme bientôt le fera Jésus.

Plus tôt que de tenter de reconstituer une histoire objective débarrassée de tout imaginaire, Sophie Chauveau romance le mythe. Elle sait bien que l’âne et le bœuf ne sont arrivés dans cette histoire que cinq siècles après la naissance de Yeshua ; que Marie n’est reconnue « mère de Dieu » qu’en 1253 ; qu’elle n’est consacrée vierge que tardivement, au XIXème siècle ; que son immaculée conception ne fut proclamée qu’en 1854 et son assomption en 1950. La religion chrétienne est une affaire d’hommes, comme on sait. La prêtrise aurait préféré que leur Christ soit né tout seul, dans une rose. Après tout, Jahvé fut le premier à pratiquer le clonage, il n’a eu besoin d’aucune conjointe pour concevoir Adam ! Mais le peuple n’aurait pas accordé sa foi à ce conte, le peuple aime les femmes…  

Des précisions historiques

La troisième thématique est historique : dans son journal, la petite Marie nous rappelle les rituels juifs qu’elle pratique, l’histoire du peuple hébreu, les épisodes marquant de l’Ancien testament. Nous apprenons l’origine du mot Juif, qui qualifia ceux qui s’installèrent en Judée et développèrent le judaïsme, au retour de Babylone. Sophie Chauveau nous emmène aussi dans les errances de la datation. Au premier jour de l’an 0 de notre ère, Jésus était sans doute âgé de six ans. L’année commença longtemps le 1er avril avant que des moines décident de commencer l’année liturgique le 25 mars. En 1622, la papauté décide que l’année civile commencera le 1er janvier.

Voilà trois raisons, donc, pour lire ce livre réédité aujourd’hui en poche par Gallimard, après une première édition chez Télémaque en 2019 sous le titre « Journal de grossesse de la Vierge Marie ».

Mathias Lair

Sophie Chauveau, Journal intime de la Vierge Marie, Gallimard folio, septembre 2023, 345 pages, 9,70 €

Laisser un commentaire