KL, une histoire des camps de concentration nazis

Malgré tout ce qu’on a pu lire à leur sujet, et leur omniprésence dans la culture mondiale, l’histoire des camps de concentration restait à écrire. Elle commence avant et se prolonge au-delà de la période nazie. Pourtant, comment dissocier le régime nazi des camps de concentration ? Ceux découvert par les soldats américains sont-ils les mêmes que ceux autour desquels vivaient paisiblement les paysans polonais ? Ceux que les services secrets avaient identifiés et pas bombardés sont-ils bien ceux dans lesquels sont mort tant d’innocentes victimes de la mécanisation de la mort ?

 

KL (Konzentrationlager)

Dans une somme considérable, l’historien Nikolaus Wachsmann rend compte de l’immensité du projet nazi et pose ses spécificités par rapport aux prédécesseurs, notamment le système concentrationnaire soviétique. Né à Munich en 1971, il est professeur d’Histoire au Birkbeck College de l’Université de Londres.

Son travail n’oublie aucun des aspects des camps : historique, bien sûr, mais aussi sociologique (comment les allemands et les voisins des camps vivaient), économique (à quelles grandes entreprises le travail forcé profitait-il ?), scientifique (quel laboratoire a profité des expérimentations ?). Il oublie pas non plus de rappeler que ces camps étaient connus des Alliés et des populations, qui, pour la plupart, préférèrent ne pas y croire… Il rappelle notamment les témoignages et ouvrages parus sur Hitler et ses méthodes, notamment (et même si le document lui-même est politiquement orienté et par certains points douteux) le Livre brun sur l’incendie du Reichstag et la terreur hitlérienne, publié dès 1933 par le Comité international d’aide aux victimes du fascisme hitlérien…

 

Les camps de concentration incarnaient l’esprit du nazisme comme nulle autre institution du IIIe Reich. Ils formaient un système de domination distinct avec sa propre organisation, ses règles et son personnel, et même son propre acronyme : dans les documents officiels et la langage courant, on les désignait souvent par KL (Konzentrationlager). Guidé par Heinrich Himmler, chef de la SS et premier séide de Hitler, le KL en vint à refléter les obsessions lancinantes des dirigeants nazis […] »

 

Première étape : les camps d’internement

Dès sa prise de pouvoir, Hitler et ses affidés mirent en place leur stratégie de nettoyage ethnique et envoyèrent en camp d’internement un nombre considérable d’opposants politiques d’abord, puis suivirent les populations qui gênaient la pureté de la race. Mais les premiers camps sont pour ainsi dire « improvisés » car rien n’est encore construit : des lieux (châteaux, hôtels, etc.) sont réquisitionnés.

Mais la violence des traitements et l’atrocité des conditions de vie faisaient que nombre de prisonniers mourraient.

A quelques kilomètres de Munich, le camp de Dachau, actif de 1933 à 1945, est l’archétype du camp de concentration « traditionnel ». Il reçut plus de 200 000 prisonniers dont 30 000 au moins moururent sur place.

 

Portail d'Auschwitz
Portail d’Auschwitz et la célèbre formule « arbeit macht frei », le travail rend libre…

 

Seconde étape : les camps de la mort

Bien vite cependant, les camps de concentrations, qui se sont multipliés sur le territoire allemand étendu aux pays conquis (27 camps principaux et plus de 1 100 camps secondaires…), s’organisent en camps de la mort. Camp pour y mourir. Camp pour servir de cobaye aux médecins. Camp pour travailler à l’effort de guerre jusqu’à mourir d’épuisement.

 

“Pour soulager le camp, il est nécessaire de supprimer les simples d’esprit, les idiots, les estropiés et les malades aussi vite que possible par liquidation.” C’est ainsi qu’un officier SS résuma, à la fin de 142, la fonction des sélections dans un camp de concentration comme Auschwitz. »

 

Le camp d’Auschwitz, ouvert par la SS le 27 avril 1940, est le plus célèbre camp d’extermination. Au camp principal, crée par Heinrich Himmler, deux camps annexes s’adjoignent rapidement : Birkenau en 1943 (Auschwitz II) et Monowitz-Buna (Auschwitz III), où les prisonniers mourraient en nombre après des travaux forcés. Au total, plus d’1,1 millions de personnes mourront à Auschwitz dont 900 000 dès leur arrivée !

 

 

 

Par l’ampleur de ses recherches, de ses documents, de ses vues, KL, une histoire des camps de concentration nazis s’inscrit pour être longtemps l’ouvrage de référence, d’une prodigieuse érudition et à la fois vraiment lisible, même s’il peut étouffer par le détail des noirceurs et horreurs qui sont exposées (la section sur les expérimentations médicale est particulièrement difficile à surmonter). Lisible, le livre l’est parce qu’il est une chronique des hommes qui décidèrent des camps et des hommes qui y moururent, des hommes qui y servirent et des hommes qui vécurent à proximité, des hommes qui y survécurent et des hommes qui furent hantés toute leur vie par ce qu’ils découvrirent en les libérant… une histoire des hommes.

Un livre vraiment important.

 

Loïc Di Stefano

 

Nikolaus Wachsmann, KL, une histoire des camps de concentration nazis, traduit de l’anglais par Jean-François Sené, Gallimard, « essais », novembre 2017, 1159 pages, 45 euros

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